vendredi 10 février 2012

L'abbé GODECHAL, curé d'Almenèches

N°184 (Voir les n°1à6-11à16-31à33-72à74-98à117-123à132-146à165-170à183)
 Eglise d'ALMENECHES actuellement en travaux....
Nous avons lu dans " Les Martyrs de la Révolution dans le diocèse de Séez", écrit en 1876 par l'abbé Blin, la longue histoire de l'abbé Godechal, curé d'Almenèches ..
M. Laurent Charles-François Godéchal, d'Argentan, fut nommé curé d'Almenèches, en 1784. La persécution le trouva inébranlable dans sa fidélité religieuse; mais elle l'obligea à sortir de France, au mois de septembre 1792. Il se retira d'abord en Angleterre, puis en Belgique. Peu de temps après, les armées françaises, ayant envahi cette province, le forcèrent de se réfugier en Westphalie avec M. l'abbé Gélée, son compatriote, et ancien curé de Préaux.
Vers la mi-octobre 1795, M. Godéchal et M. Gélée rentrèrent en Belgique. "Ils sortaient", dit M. l'abbé Marre, "en plein" jour dans les rues d'Anvers, et marchaient la tête levée, sans que les officiers et les soldats français les menaçassent même d'un seul regard. Leur cause leur paraissait, sinon gagnée, au moins en bon train. Un placard, émané de l'autorité militaire, le 20 ou le 21 décembre 1795, d'avoir à sortir de la Belgique, dans les 24 heures, sous la peine capitale. Averti de cette sévère injonction, M. l'abbé Marre alla demander à MM. Godéchal et Gélée s'ils voulaient se mettre en route pour la Westphalie, qui leur était ouverte de nouveau. Bah! lui dirent-ils, ce n'est qu'une bourouflée; en ne paraissant pas enpublic, on ne s'occupera pas de nous. Cet ordre ne peut venir que d'un brouillon subalterne, et sera peut-être rappelé sous quelques jours".
"Confiants dans leurs conjectures, ils le laissèrent partir seul. Ils furent arrêtés trois jours après et conduits dans la prison de Bruxelles".
Voici en quels termes M. Godéchal lui-même racontait ses malheurs à M. l'abbé Marre quelques mois après. " Dans la nuit de Noël, en attendant l'heure de la messe, M. Gélée et moi nous fîmes une partie de piquet. Au moment où je disais à mon confrère: "ne es capot" nous le fûmes lui et moi. Des soldats entrent, ils nous disent insolemment que nous aurions une belle fête, ils nous lient et nous emmènent en prison en disant que nous n'aurions besoin de rien".
Nous passâmes en prières le reste de la nuit. Des soldats vinrent à notre prison dès le matin: ce n'étaient pas les mêmes. Ils nous lièrent les mains et nous disent que nous serions débarbouillés à Bruxelles. Pourquoi pas à Anvers ? Probablement parce que quelque adroit honnête homme cherchait à nous sauver. Sur la route, un de nos conducteurs parut sensible à notre malheur: il nous donna un petit verre d'eau-de-vie".
A Bruxelles, jetés dans des cachots infects, confondus avec les plus infâmes scélérats, on nous fit pressentir que nous étions en réserve pour la guillotine. Quand nous entendions le bruissement des verrous, nous pensions que notre dernière heure avait sonné. Etions-nous soutenus par une main inconnue ou par notre bon ange? Il fut statué que nous serions jugés à Paris. A Paris, il fut statué que nous serions jugés à Alençon, chef-lieu de notre département".
A Alençon, MM. Savary, frères,avocats, nous défendirent avec chaleur et éloquence. Leurs plaidoyers, bien nourris, appuyés sur la logique et le bon sens, ne paraissaient pas faire fléchir les juges, qui au reste acceptèrent de bon coeur ce syllogisme: "Une loi n'oblige qu'autant qu'elle peut être connue. Or la loi, qui enjoignait sous peine capitale à nos clients de vider de leurs personnes la ville d'Anvers dans un délai donné, n'a pu être connue d'eux, attendu qu'elle n'a été publiée qu'en langue flamande, qu'ils ne savent pas. Donc elle ne peut pas leur être applicable".
Conséquence bien déduite! Appointés à prouver la mineure, les défenseurs la prouvèrent en due forme, et la forme emporta le fond. L'autorité anversane certifia à ses risques et périls, aux dépens de la vérité, que l'argument de MM. les défenseurs était fondé en tout point. Les accusés s'entendirent condamner, l'un à la déportation, l'autre à la réclusion à cause de ses infirmités".
On trouve sur le registre du tribunal criminel du département de l'Orne le jugement porté contre M. Godéchal; il est ainsi conçu:
Vu par le tribunal criminel: la procédure instruite contre Laurent-Charles-François Godéchal, ex-curé de la commune d'Almenèches, âgé de 38 ans, originaire de la commune d'Argentan, volontairement déporté en vertu de la loi du 26 août 1792, et arrêté en la commune d'Anvers le 4 nivôse dernier.
Considérant que, quand on considérerait comme déporté rentré ledit Godéchal, qui s'était déporté dans la Belgique avant sa réunion à la république française, et qui a été trouvé dans cette ci-devant province de l'Empire d'Allemagne, la loi du 3 brumaire ne pourrait l'atteindre: 1° parce qu'elle n'ordonne que l'exécution des lois de 1792 et 1793; 2° parce qu'elle n'avait pas été publiée dans la Belgique avant son arrestation, le tribunal ordonne que ledit Laurent-Charles-François Godéchal sera déporté dans le lieu qu'il voudra choisir, et qu'il sera tenu d'indiquer dans le délai de trois jours, et pour l'exécution du présent le commissaire du pouvoir exécutif donnera les ordres pour le faire conduire aux frontières de France, voisines du lieu de sa déportation".
Fait et arrêté, le 16e jour de prairial de l'an IVe de la république française".
Obligé de laisser son confrère malade à Alençon, M. Godéchal prit un passeport pour Munster, où se trouvaient en grand nombre les prêtres du diocèse de Séez à la suite de leur évêque. Il avait frisé la guillotine de bien près, ajoute M. l'abbé Marre, mais il devait courir de nouveaux dangers. Epuisé par les privations et les fatigues, par une longue captivité et les frayeurs d'une mort prochaine, il s'en va en Suisse pour y rétablir sa santé. Il part de Francfort entre deux armées en guerre, qui attendaient l'ordre de se battre. Le voilà en face de Strasbourg, et les boulets volent en sifflant par-dessus sa tête; il se couche à plat ventre et les laisse passer. Les batteries changent de place, il ne redoute plus les boulets. Il espère gagner la Suisse; un batelier le prend et le débarque... sur la route suisse? Non, mais de Strasbourg à Paris ! A Strasbourg, il se laisse déguiser; on l'équipe de faux papiers, il prend la route du Rhin, le passe et revient à Munster, où je le retrouve, et où il me fait cette romantique narration. Je dis romantique, parce que dans un demi-siècle, la fermentation révolutionnaire ne sera plus ni comprise, ni envisagée, ni même suivie dans cette chaîne de malheurs qui accabla tant de milliers d'innocents".
Après la révolution, M. Godéchal revint dans sa famille, mais l'épuisement de ses forces l'obligea de renoncer au gouvernement de son ancienne paroisse. Il se retira dans la ville d'Argentan pour y prendre un peu de repos. Aussitôt qu'il fut en état de travailler de nouveau à la vigne du Seigneur, il pria son évêque de l'employer dans une autre paroisse. Mgr de Boischollet le nomma d'abord desservant provisoire de la paroisse d'Occagnes, puis desservant de Sarceaux, près Argentan (1804). Il y travailla avec tant de zèle et d'édification au salut des âmes, qu'en 1805 Mgr de Boischollet déclarait sur le registre du personnel que cet ecclésiastique était "digne de toutes les places". Sa santé délicate et surtout sa grande humilité le retinrent à Sarceaux jusqu'à sa mort, qui arriva le 1er octobre 1816. Sa mémoire est restée en bénédiction dans les paroisses d'Almenèches et de Sarceaux.
Il serait très intéressant de connaître comment vivaient tous ces gens en exil et avec quels moyens !!! Prêtres réfractaires !!! Prêtres assermentés !!!
1789 : La révolution française : une page importante de l'histoire de la FRANCE.