samedi 17 mars 2012

AU MUSEE ..... d'Henri VENDEL.

N°195 (Voir les n°8.9.17.34.65à67-86à91-118à122-133à144-187à192-194)
 Cliquez sur la photo pour l'agrandir -comme pour les autres en général)

Texte d'Henri Vendel trouvé dans le BULLETIN DES MUSEES DE FRANCE " de Novembre 1936.
AU MUSEE DE CHALONS-SUR-MARNE. -. Le Musée municipal de Châlons-sur-Marne fut fondé en 1862 grâce à la générosité d'un collectionneur, Charles Picot. Il fut installé en 1880 dans les salles qu'il occupe actuellement. Deux avaient servi à l'école de dessin, les autres sont des galeries comme on en construisait alors, hautes, vastes, éclairées d'un jour astral. Elles furent vite encombrées de tableaux jusqu'au plafond.
Depuis quelques années, on a essayé de procéder à un tri des oeuvres exposées. Peu à peu, pour ne pas choquer les habitudes des visiteurs, on a relégué en magasin près de la moitié des toiles, dont certaines mesuraient jusqu'à 6m50 sur 5 mètres. L'art implique un choix, pour le conservateur comme pour le peintre .
Il en est résulté un double avantage: l'administration du public risque moins de s'égarer, et les tableaux ne sont plus serrés cadre à cadre. Il est  possible de contempler maintenant chacun d'eux individuellement.
Le fond d'ocre rouge a été remplacé par un gris plus discret et les oeuvres classées par écoles. Au centre de l'école française classique a pris place le portrait de la comtesse de Beauvais par La Hyre, comme le très beau Daubigny, Cascade du château de Saint-Cloud, forme le centre des peintures du XIXe siècle.
Pour les contemporains, on s'efforce d'acquérir de préférence des oeuvres d'artistes champenois:  le châlonnais Antral, Renefer, Gustave Pierre, etc..., dans la limite, malheureusement trop étroite, des crédits.
Le désir du conservateur est de constituer une collection où tout artiste champenois de valeur, quelle que soit sa tendance, se trouve représenté.
En outre, afin d'initier le public local au mouvement de l'art moderne, des expositions sont organisées qui constituent une sorte de musée constamment renouvelé.
Pour remédier à l'encombrement de la salle d'art décoratif, les copies d'ancien ont été éliminées et un certain nombre de meubles, commodes, fauteuils, crédences, répartis dans la salle de peinture, dont ils rompent la monotonie.
Dans la salle de sulpture, c'était une cohue de statues. On a procédé aux mêmes éliminations (quelques moulages ont été maintenus cependant pour des raisons pédagogiques).
Un don du Touring-Club de France, comme le signala le bulletin de juin 1934, a permis de présenter convenablement des chapiteaux du XIIe siècle et des fragments provenant de Notre-Dame-en-Vaux, ainsi que des pièces des XIIIe, XIVe et XVe siècles, parmi lesquelles se détache, isolée par un écran, la magnifique tête de Christ qui surmontait le jubé de ladite église.
Pour la présentation des chapiteaux, on a élevé des colonnes en ciment armé, du même ton que la pierre, qui permettent de les voir à bonne hauteur. Les têtes, fixées sur des cubes de pierre, sont disposées sur des gradins peints de la même couleur que le mur.
Il s'en faut d'ailleurs de beaucoup que cette présentation soit parfaite. Le manque d'argent et le manque d'espace n'ont pas jusqu'à présent permis de faire mieux. Souhaitons qu'un jour prochain reviennent au musée les bâtiments occupés au rez-de-chaussée par l'école primaire qui y fut installée "provisoirement" voilà cinquante-six ans.
Cela permettrait de placer dans ces salles les collections d'histoire naturelle, la salle d'ornithologie actuelle serait convertie en galerie d'art moderne et les tableaux anciens pourraient alors bénéficier de la présentation qu'ils méritent.
Voilà bien des paroles d'Henri VENDEL, conservateur de la bibliothèque et du musée de Châlons-sur-Marne (maintenant appelée Châlons-en-Champagne) avec toujours des projets...
Alifer61 

Occupation ....... d'Henri VENDEL.

N°194 (Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187à192)
 Petit texte trouvé dans "La Pensée Française & L'Energie Nationale" d'avril 1927 montrant notre héros-bibliothécaire dans son travail....... .
CHAMPAGNE. - A Châlons-sur-Marne, les conférences de la Bibliothèque évoquent tour à tour les divers aspects champenois. M. VENDEL, le conservateur et l'animateur de ces causeries, y a parlé de quelques artistes champenois de jadis et de naguère; M. BOUFFET de Moignon; Mlle GERMAINE MAILLET de Paul Claudel champenois; M. CHEVRON du vieux Châlons; M. DESMOULIN du "Roman de la Rose", dont la Bibliothèque de Châlons pssède un bel exemplaire enluminé; enfin, M. CHEMINAUD a fait une causerie gastronomique.
Grâce aux efforts conjugués de M. VENDEL et du Syndicat d'initiative, on a entendu à l'Hôtel de Ville Mme Dussanne, de la Comédie Française, nous célébrer La Fontaine et M. Robert de Flers, de l'Académie française, nous parler de Labiche, Meilhac et Sardou. Enfin M. Vendel a aussi organisé un Groupe des Amis des Arts qui se réunit chaque quinzaine pour discuter des problèmes de technique ou d'esthétique.
L'Harmonie des Cheminots a donné un concert très applaudi sous la direction de M. DOLE, et la "Maison des oeuvres" nous a permis d'entendre Mme LEDRE et Mlle VIAC, ainsi que l'Harmonie du Cercle catholique, en un brillant concert. Les concerts de M.P.S. HERARD continuent leur cycle toujours très suivi et l'on n'y a pas oublié Beethoven.
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Ainsi par ces quelques lignes, nous remarquons toute l'implication de notre Normand pour sa ville de Châlons:  il était dans le coeur de nombreuses associations d'alors.
Alifer61

mercredi 7 mars 2012

SAINTE-OPPORTUNE par Dom Y. Chaussy.

N°193 (Voir les n°1à6-11à16-31à33-72à74-98à117-1213à132-146à165-170à186)
 Voilà de nouveau un texte écrit par Dom Y Chaussy (livre actuellement aux Archives de l'Orne) sur la personnalité la plus reconnue encore actuellement , d'Almenèches - Orne:
Soeur de S. Godegrand, elle naquit à Exmes vers l'an 720. Parvenue à l'âge de se marier, elle déclara vouloir se cloîtrer et ce fut au petit Monastère d'Almenêches, voisin du grand que gouvernait sa tante Lanthilde, sur le territoire actuel du Château d'Almenêches. Opportune fut par la suite portée à la chaire abbatiale. Elle est jugée comme "l'une des plus grandes figures de saintes qui aient paru dans les Gaules". Elle mourut en 22 avril vers 770 et fut enterrée dans son moutier. De gracieuses légendes (le Pré Salé, l'Oiseau ressuscité), ses vertus surtout lui ont valu une popularité étonnante. Son culte se répandit rapidement dans tout l'ouest, même à Paris et dans sa banlieue et jusqu'à Vendôme où ses reliques enlevées par droit de conquête, furent déposées par Geoffroy Grisegonelle qui avait tenté de s'emparer de la Normandie. Une partie de ces restes ayant fait retour à l'abbaye d'Almenêches en 1624, suivirent celle-ci lors de son transfert à Argentan en 1736 mais se trouvèrent perdues à la Révolution. Cependant une autre portion de ces reliques avaient été transportées à Moussy le Neuf (Seine-et-Marne) pour les soustraire aux envahisseurs northmans; sur ce dépôt un important fragment fut prélevé et restitué en 1918 aux moniales d'Almenêches, réinstallées à Vimoutiers en 1828 puis à Argentan en 1830.
La sainte est toujours hautement honorée à la communauté d'Argentan. A Almenêches son souvenir est toujours vivant. L'ancienne abbatiale, devenue paroisse, possède un excellent bas-relief en terre cuite de 1679 par Chauvel de Cantepie, figurant l'apothéose de la sainte; une statue de semblable matière et du même artiste; des vitraux de 1847 rappelant le transfert de reliques qui eut lieu à cette époque, le peintre nous montre les costumes paysans d'alors; une chapelle érigée en 1871, au Pré-Salé, où la paroisse se rend en procession le lundi de Pentecôte; enfin une statue dressée sur le parvis de l'église: une municipalité d'autrefois a trouvé astucieux de la masquer par la bascule publique ! (cette bascule a été transférée: la statue est toujours bien visible) A Exmes sur le site de la forteresse l'abbesse et son frère Godegrand, comme nous l'avons dit, ont reçu l'hommage d'une chapelle.
Le très riche Musée diocésain de Séez a recueilli une S. Opportune de provenance inconnue. Elles est en bois, haute de 1m33 dont 0m33 de socle et semble avoir fait partie d'un retable ou d'un groupe, à en juger par l'attitude de la sainte; de la main Opportune fait le geste de garder son coeur ou de l'offrir; cet ouvrage paraît du XVIe siècle.
S. Opportune est l'une des patronnes de la Bonne Mort. On l'invoque du point de vue temporel pour le triomphe du droit et de la justice, elle fait encore retrouver les objets perdus ou dérobés. En la collégiale de Paris, placée sous son vocable, elle était en réputation de guérir les maladies de la gorge et de la poitrine. Au Cotentin elle a été instituée la protectrice des bestiaux.
S'il pleut le jour S. Opportune,
On n'aura ni prunard ni prune. 
Ainsi, nouveau texte sur Sainte Opportune (il y en a d'autres !)... Nouveaux détails....
Alifer61
 

mardi 6 mars 2012

Les Fraternisations à la guerre 14.18.

N°192 (Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187à191)
Voilà maintenant un texte du "Journal des Mutilés et Combattants" du dimanche 21 octobre 1934 sur les "fraternisations" entre soldats français et allemands pendant la guerre de 1914.18 et qui ont été si combattus à l'époque par les hautes sphères , (ces personnes n'étant pas , eux, dans ces fameuses tranchées !!!):
;;;; Nombre d'actes de fraternisation ont commencé par un simple sifflement de chanson. Le siffleur allemand reprenait ou continuait l'air du Français et la conversation s'engageait. H. NADEL, auteur de "Sous le pressoir", raconte l'anecdote suivante qui débute par un duo de chansons sifflotées.
- Merci, crie le Français, pour s'amuser.
- Y a pas de quoi, à votre service, répond l'Allemand.
- Ohé ! Fritz, tu n'habitais pas à Paris avant la guerre ?
- Si, rue de Clignancourt.
- Tiens ! la même rue que moi. Où travaillais-tu ?
- J'étais garçon de café à la Brasserie viennoise. 
- Oh ! je connais bien. Tu as dû certainement me servir des bocks, je t'ai donné ton pourboire et tu me fiches sur la gueule, maintenant, cochon.
-Ca, c'est le métier....
Le lendemain, les Allemands envoient un paquet de cigares. Puis un papier lesté d'un caillou tombe dans la ligne française: " Ne tirez pas, nous ne tirerons plus" y était-il écrit. On discute ferme chez les Français. On n'ose toucher aux cigares. S'ils étaient empoisonnés ? Au périscope, NADEL voit des mains puis des têtes s'élever de la tranchée ennemie. Sur une longueur de cinq cent mètres, les Allemands se dressent jusqu'à mi-corps et bientôt les Français en font autant. Dès lors, on fait la guerre en commun, une guerre pépère, sans surprise sans coups de feu. Français et Allemands doublent , en plein jour, le réseau de chevaux de frise et même une équipe allemande donne un coup de main à une équipe française. On se prête des outils. On convient que, la nuit, personne ne doit circuler sur le "bled" et qu'on a le droit de tirer sur toute patrouille. On échange des cadeaux. Les Allemands donnent du tabac, les Français du pain. Les Allemands vont jusqu'à prévenir qu'un abri est miré et" qu'il sautera probablement dans la première semaine de janvier". Bien entendu, les officiers ignoraient cette trêve et ces accords. Quand l'un d'eux surgissait, on se faisait signe et l'on recommençait à jouer sérieusement à la guerre. Mais un matin, le colonel surgit à l'improviste et exige que le sergent commande un feu de salve. On n'entendit nul cri de blessé. NADEL interroge le sergent qui lui répond:
-Je n'aime pas les Boches. Je suis du Nord. Ils pillent tout chez moi... Mais ç'aurait été un abus de confiance de les tuer. Alors, avant de tirer, je leur ai fait signe de se cacher.
Le lieutenant Duvernoy, qui exerçait en 1914 l'honorable métier de préfet du Tarn-et-Garonne, se trouvait sur le front d'Orient où il commandait une compagnie de mitrailleurs. Un soir, il siffle à gorge déployée un "largo" d'Haendel et, comme il s'arrête, le largo est aussitôt repris par un siffleur mystérieux installé de l'autre côté de la barricade. Duvernoy siffle u n aria de Bach, l'interrompt intentionnellement et , là-bas, l'aria continue. L'officier varie son programme, et son accompagnateur anonyme termine tous lesmorceaux commencés. Wagner, Berlioz, Saint-Saëns, César Franck y avaient passé.
En hâte, le lieutenant Duvernoy remet à son agent de liaison un billet où il relate le fait et où il conclut: "Ce ne sont pas des Bulgares qui sont en face de nous, mais des Allemands. Il est donc nécessaire que, pour tenir devant ces deux adversaires particulièrement sérieux, nous soyons promptement renforcés". La réponse lui parvient sans tarder: "Il est inadmissible qu'on fraternise avec les ennemis en sifflant les mêmes airs qu'eux. Nos informations sont sûres. Nous avons devant nous des Bulgares, non des Allemands". Deux jours après, les Allemands enfoncent notre ligne, trop faible sur ce point, tuent une centaine d'hommes et s'enfoncent dans nos lignes........... (oh! bétise humaine ! Les grands chefs savent toujours tout !!!!)
De nombreuses "fraternisations" eurent lieu pendant cette guerre de tranchée. Beaucoup furent sévèrement jugées et condamnées ..... Pourtant le peuple de tous les pays n'est pas pour la guerre. Regardons qui la déclare.......
VENDEL Henri (NADEL) participa malheureusement aux deux dernières guerre:1914.18 et 1939.45.....
Alifer61 

lundi 5 mars 2012

FRONTIERES par Henri NADEL

N°191 (Voir les n° 8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187à190)
 Henri VENDEL écrivit de nombreux articles sur différentes revues et sur des sujets très variés. Ici, dans la revue mensuelle "EUROPE" du 15 décembre 1935, il nous parle tout simplement de frontières:
Frontière n'est pas limite, c'est opposition.
Que les Etats doivent se borner, nul n'y contredit, puisqu'ils sont fils de l'homme.
Notre vue ne s'étend pas au-delà du proche horizon, et de même la puissance des Etats ne saurait prétendre à l'Univers. Que les nations l'oublient cause leurs maux. Elles revendiquent des biens dans le monde entier, mais comment les défendre ?
Quand le Japon envahit la Chine, il froisse des intérêts américains et britanniques, mais les flottes les plus puissantes n'osent s'éloigner de leurs bases. Sur les mers libres elles reconnaissent leurs limites. Toutes mobiles qu'elles soient, des îles demeurent hors de la portée de leurs canons. Puissance formidable qui, au delà de ces invisibles limites, devient débilité.
La S.D.N. apporte la preuve par l'absurde. Son éclatante faiblesse n'eût pas tant offusqué son utilité si ses fondateurs avaient pris soin de limiter son domaine.
Limites organiques, et sans lesquelles il n'est que monstres. Limites consenties, puisqu'elles sont une prise de conscience. Qui ne portent pas menace, mais qui impliquent renoncement. " Je n'irai pas au delà de mes forces", dit la force.
Mais frontière n'est pas limite. Qu'on se rappelle le vieux sens du mot qui fut uniquement le sien jusqu'au XVIIe siècle: c'est " front d'une troupe".
"Faire frontière, dit Littré, signifie se mettre en bataille pour combattre, se défendre; et, comme on faisait frontière particulièrement sur les limites despays, le mot a pris le sens de limites d'Etat à Etat".
Les géographes confirment ce sens. "Frontières" : mot d'armée en mouvement, disent Demangeon et Febvre, mot relativement nouveau qui s'oppose à limite, ce vieux mot débonnaire d'arpenteurs terriens."
 Bruhnes et Vallaux notent de même qu'à " l'époque de la Guerre de Cent ans, la France avait atteint ses limites naturelles et indépassables sur la Manche et sur l'Océan, du Pas-de-Calais à la Gironde; mais elle n'avait point de frontière maritime" . Entendez qu'elle n'avait point, sur ces limites, d'organisation militaire qui lui permît de faire front à l'ennemi.
Ses limites au reste n'étaient précises que du côté de la mer; partout ailleurs, vagues et indéterminées. (Ainsi discute-t-on encore aujourd'hui si Jeanne d'Arc était française.)
Ce sont les cartes qui ont permis de préciser les limites. Primitivement, celles-ci n'étaient pas linéaires, mais formées de vastes zones. Ainsi les cités gauloises étaient-elles séparées par des forêts ou des étendues inhabitées. De nos jours encore, on constate le même fait chez des peuples peu évolués. Au début du conflit italo-éthiopien par exemple, on trouve des incidents dus à l'in détermination des frontières. 
Géographiquement, historiquement, linguistiquement, ces limites imprécises, ces confins, étaient beaucoup plus justes.
La patrie n'en connaît pas d'autres. Elle a besoin qu'autour d'elle s'étendent ces zones poreuses d'interpénétration. Elle a besoin d'être ouverte.
Repliée sur elle-même, elle se dessécherait, comme une plante privée d'air. Elle vit, ainsi que tout organisme, d'échanges continuels. Tout pays lui donne nourriture.
 Ces aliments que l'étranger lui offre, elle les assimile, mais leur digestion est plus ou moins laborieuse. Il y a des styles, des tendances, qu'elle rejette, parce qu'ils lui seraient toxiques.
Toute absorption massive s'accompagne d'ailleurs d'une période fébrile. La température monte. Mue ou crise de croissance.
Il semble,  pendant quelque temps, qu'il y ait rupture de la tradition.
Ainsi la Renaissance française s'oppose au gothique, les romantiques aux classiques. Puis les ans passent, et l'on découvre, sous des styles différents, la permanence de la patrie.
Les crises seront d'autant plus rares, d'autant moins graves, qu'il existera autour de cette patrie des pays-filtres, des pays de transition, c'est-à-dire de transit. Des pays qui ne sont plus elle,  mais où pourtant on la découvre, où elle se prolonge, qui sont autour d'elle comme une aura.
On ne borne pas la patrie. Elles est faite de régions, non pas limitées, mais caractérisées.
La nation, au contraire, exige d'être fermée.
Elle ne prend conscience d'elle-même que par opposition. Son premier souci est de se distinguer de ses voisines.
Les nations se veulent moins supérieures que différentes. Elles admirent leurs tares pourvu qu'elles leur soient propres.
Nation et patrie reposent toutes deux sur un sentiment de la propriété,  mais non  le même. Qu'un aubain s'attache à ma patrie, mon héritage n'en est pas amoindri. Les invasions mêmes, la patrie finit toujours par en triompher. Elle conquiert ses conquérants .
Mais la nation n'admet pas le partage. Elle a besoin de se défendre. Elle a besoin  de frontières.
Et l'on constate, en effet, que là où il n'existe pas de nations, il n'existe non plus de frontières, au sens précis du mot. Ainsi fut-il impossible de fixer, avant la conquête, celles de l'empire marocain.
Les frontières sont le fait de la nation.
Où et comment s'établissent-elles ? Non pas sur des limites naturelles. La nation est une formation historique qui prétend se justifier par des raisons géographiques. En réalité, elle tient aussi peu compte que possible de la nature des pays. Sans doute l'océan l'arrête-t-il (encore qu'elle colonise outre-mer), mais elle ne respecte pas l'unité des régions.
Le pays basque et la Catalogne sont coupés en deux. Il y a toujours des Pyrénées, parce que l'Espagne et la France les maintiennent.
Quant à notre frontière de l'Est, elle erre sur la "cime indéterminée" des Alpes, tranche arbitrairement le Jura dont elle prend la partie sud et laisse le nord à la Suisse, délaisse les Vosges pour le Rhin, puis se perd dans la plaine.
Les frontières ne naissent pas du sol, mais des guerres. Ce sont des combats qui les ont fixées, et c'est pourquoi elles appellent d'autres combats.
Elles s'établissent au point d'équilibre de forces contraires. Elles sont instables comme cet équilibre.
Aussi demandent-elles toujours à être défendues. Et plus les nations s'affirment, plus elles éprouvent le besoin de renforcer leurs frontières.
La frontière française du Nord et du Nord-Est, créée par Vauban, ne comprenait qu'une zone étroite.
"Après 1871, remarquent Brunhes et Vallaux, la frontière recouvrit toute la région du Nord et du Nord-Est, avec deux lignes de camps retranchés, et Paris comme réduit central."
Après 1914, qui peut dire où s'arrête notre frontière ? Les lignes stratégiques, ses racines, pénètrent jusqu'au centre du pays. Tout le territoire devient forteresse, tout le territoire devient frontière.
 Non seulement le territoire. Les esprits des citoyens participent de cette mentalité qui était propre naguère aux riverains de l'ennemi.
Ils vivent sous la menace. Dans une paisible bourgade, qui semble à l'écart de toute l'agitation du siècle, où l'on ne parvient qu'après des heures, d'un train poussif, on est tout surpris de découvrir des gens qui se sentent directement menacés, qui se croient déjà espionnés, des gens qui ont perdu la paix.
La haine s'étend avec la frontière, mais l'extension même de celle-ci prouve qu'elle a perdu son efficacité. Elle n'est plus le rempart dont parle Maurras. La science y a ouvert de multiples brèches. Toutes les murailles de Chine sont en ruines.
Il n'en était pas encore ainsi en 1914. On peut soutenir, en effet, que, si l'armée française, au lieu de tenter de vaines offensives, s'était, dès le début, accrochée au sol, l'envahisseur n'aurait pu franchir ses tranchées.
Désormais aucune fortification n'arrêtera les avions de bombardement ni les obus des canons à longue portée, et bientôt sans doute il sera possible de transporter une armée par les airs.
Dans ce sens, on peut dire qu'il n'y a plus de frontières militaires, comme il n'y a plus de défense nationale. On peut dévaster la patrie de l'ennemi, on ne peut plus protéger la sienne.
Les peuples le sentent confusément, mais ils continuent d'obéir au mythe, et jusqu'au sacrifice. Car la peur ne raisonne pas. Elle répète des gestes devenus instinctifs, même s'ils n'ont plus d'autre résultat que d'accroître le danger.
La peur gouverne l'Europe. Et plus que tous ont peur les gouvernements qui se prétendent forts. Car ils ont peur aussi des idées.
Un proverbe russe disait : " les idées ne payent pas à la douane". Mais les craintifs dictateurs les font arrêter aux frontières. N'entrent que les livres qui présentent leurs passeports.
Seulement on a beau surélever les murailles: travail de Babel. Le ciel demeure libre et l'esprit continue de souffler où il veut.
 Les frontières n'arrêtent pas, elles retardent.
Loin d'assurer désormais la protection du pays, elles troublent sa vie par les frictions qu'elles occasionnent. Les nations sont de grands corps dot la peau est irritée. Elles crient au moindre contact.
Qu'est-ce qu'un incident de frontière ? Souvent le simple résultat d'une erreur, ou le fait de quelques exaltés,mais toute la nation frémit, parce qu'elle a placé son honneur au point le plus vulnérable.
L'armure a mis la chair à vif.
Voilà un long texte écrit par Henri VENDEL qui montre bien l'intérêt que portait cet homme à toutes sortes de sujets.... Naturellement, avec l'ouverture de la C.E.E, ce sujet sur les frontières aurait d'autres réponses...
Alifer61
 

L'Exposition des Arts décoratifs par H. Nadel

N°190(Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187à189)
 Nouveau texte de notre bibliothécaire NADEL, de son vrai nom Henri Vendel, nous montrant encore ici une autre ouverture à son savoir, texte trouvé sur "LA PENSEE FRANCAISE" du 26 octobre 1925:
Mon ami Jean-François, professeur d'histoire au collège, rentrait hier soir de vacances. Il avait abrégé d'une semaine son séjour au bord de la mer pour visiter l'Exposition des Arts Décoratifs.
- Vous avez vu de belles choses ?
- Certainement. J'en ai vu beaucoup, j'en ai vu trop pour les citer. J'ai admiré, mais le plus souvent au sens latin, miror, je m'étonne. Quand j'ai pénétré dans cette ville de nulle part, aux palais géométriques, je n'ai pu me défendre d'une impression de malaise.
- Vos yeux n'étaient pas habitués aux formes nouvelles. 
- Mes yeux ont moins souffert que mon âme. je me suis senti dépaysé dans mon siècle.
- Vous n'êtes pourtant pas une vieille barbe !
- Je ne crois pas. J'ai trente-trois ans. J'aime mon temps et l'avenir dont il est gros. Cette exposition des Arts décoratifs modernes, je l'ai appelée de tous mes voeux. Qu'elle soit, je m'en réjouis, mais j'attendais plus d'elle qu'elle m'a donné. J'attendais qu'elle me présentât des meubles, des maisons, des objets faits pour moi, c'est-à-dire pour quelques millions de Français qui sont, comme moi, las de vivre dans de la copie d'ancien, et qui voudraient boire dans leur verre et coucher dans leurs bois.
- Si je comprends bien, vous reprochez aux exposants de n'avoir point songé au "Français moyen",  mais de briguer la clientèle de riches argentins ? Je conviens avec vous que cette exposition n'est point à l'usage du peuple et que, de ce point de vue, elle marque un recul sur les tentatives de 1900. On a beaucoup critiqué, non sans raison, les créateurs du "modern-style". Du moins, faut-il leur rendre ce témoignage qu'ils songèrent à mettre dans ses meubles notre société démocratique. Ils échouèrent. Il était naturel, je ne dis point raisonnable, il était naturel que par réaction, leurs successeurs travaillassent uniquement pour quelques favorisés de la fortune.
- Il reste donc à créer un art populaire moderne, car je doute que, même fabriqués en série, de tels meubles soient accessibles à ma bourse. Leur beauté ne vient-elle pas essentiellement du bois précieux dont ils sont faits ?
- J'ajouterai qu'il reste à créer un art provincial moderne, je dirai même campagnard, pour mieux l'opposer à l'art citadin que l'on nous présente. L'une des raisons que l'on donne du triomphe de la ligne droite à cette exposition, c'est que nos yeux sont accoutumés aux aspects géométriques des machines. Cette raison vaut peut-être pour l'habitant d'une grande ville, non pour le campagnard, c'est-à-dire pour la grande majorité des Français dont le paysage ne change guère.
- J'attends donc, pour la campagne, un art moderne assoupli, clair, joyeux, et qui ne s'interdise ni la grâce ni le charme. A Paris, j'ai vu trop souvent, à côté d'oeuvres délicieuses, des salles à manger lugubres et des salons neurasthéniques. Je croyais notre époque frivole; si je la jugeais d'après ses meubles, je jurerais qu'elle est janséniste .
- C'est que nos artistes, suivant le conseil de Fénelon, ne veulent plus rien sacrifier au seul ornement. Ils prétendent n'avoir d'autre guide que la logique.
 S'ils la suivaient toujours, j'aurais à les louer, car j'imagine qu'ils me présenteraient avant tout des meubles pratiques, des habitations confortables, qui tiendraient compte de nos besoins modernes et de notre souci de l'hygiène. C'est avant tout ce que leur demande: un style approprié à leur époque. Mais trop souvent, je n'ai pu m'expliquer certaines formes bizarres que par un désir de changement. Désir que je loue, mais qui n'est pas suffisant.Je reproche à cette exposition de n'être pas assez moderne, car il ne suffit point pour mériter cette épithète de tourner le dos à la Grèce et de remonter jusqu'aux styles les archaïques.
- Mon cher, les extrêmes se touchent. Ne croyez point que ce soit par simple caprice que nos architectes nous offrant des formes cyclopéennes et que nos sculpteurs comme nos musiciens se mettent à l'école des nègres. Nous demandons des modèles aux barbares parce que nous entrons dans la barbarie. Réjouissons-nous. Elle vaut mieux que la décadence. Votre culture classique vous empêche de la goûter pleinement, mais voyez comme elle réjouit la foule des nouveaux riches et ceux qui n'apprirent qu'à conduire une automobile. Ils sont les maîtres, ils ont l'argent. Ce sont eux qui choisissent le style de notre époque, eux,les barbares. Réjouissons-nous, car nous sommes à l'aube des temps nouveaux, à la période pré-romane du ciment armé. L'âge des cathédrales viendra.
VENDEL, homme de tout domaine...
A toutes les périodes de notre histoire, on nous parle des hommes sans grade, de la classe moyenne et naturellement des riches...
Alifer61  

samedi 3 mars 2012

LA LECTURE EN PROVINCE pour Henri NADEL

N°189 (Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187.188)
 Texte pris sur "La Pensée Française " du lundi 8 septembre 1924 :
Il semble que la province, avec sa vie filmée au ralenti, ses vastes loisirs, ses rares distractions, soit la Terre promise du livre. Car que faire en province à moins que l'on ne lise ?
Et cependant, M. Marcel Prévost, s'appuyant sur des statistiques, affirmait récemment que Paris et sa banlieue consomment à eux seuls autant de livres que le reste de la France.
 Ainsi quatre millions de personnes, que sollicitent théâtres, music-halls, cinémas, conférences, dancings, etc... liraient autant que trente-cinq millions de provinciaux.
Que penser de cette situation paradoxale ?
Il convient d'abord de remarquer que les statistiques invoquées par Marcel Prévost ne peuvent tenir compte que du nombre de livres achetés, et non de livres lus. Or, en province,  les cabinets de lecture sont généralement très fréquentés et le même volume circule en de nombreuses mains, parfois jusqu'à l'usure complète, dont la reliure ne parvient pas toujours à le protéger. 
D'autre part , il importe de distinguer,  dans la province, les villes des campagnes. Si l'on compte comme villes même les bourgades dépassant à peine 2000 habitants, on constate que la population rurale est encore égale à plus de la moitié de la population urbaine.
Il faut bien admettre que cette population rurale lit très peu. Le journal quotidien, voire hebdomadaire, suffit à satisfaire la curiosité du plus grand nombre. Les bibliothèques scolaires, pauvrement dotées, rendent quelques services. Elles prêtent des livres en hiver surtout, au temps des veillées. Enfin plusieurs libraires m'ont signalé que, depuis la guerre, des paysans leur achetaient des romans d'aventures. Maurice Leblanc, Gaston Leroux, seraient leurs auteurs préférés. Ils aiment aussi les récits de voyages, comme il est naturel à des gens casaniers.
Je ne parle pas de ces sages qui n'ont en leur bibliothèque que quelques livres bien choisis qu'ils relisent toujours. Curé de campagne, notaire honoraire, médecin à bésicles, heureux celui à qui suffit l'amitié de Montaigne ou d'Horace !
La population rurale lit donc peu, mais plus qu'autrefois. Sa curiosité s'éveille. Il semble que des bibliothèques circulantes d'arrondissement ou de département, telles que celle inaugurée récemment en Seine-Inférieure, seraient très utiles.
Pour me renseigner sur les goûts de la population provinciale urbaine, j'ai mené une enquête auprès des libraires et des bibliothécaires. De nombreuses réponses me sont parvenues des quatre coins de la France. C'est grâce à elles que je crois pouvoir établir les faits suivants.
1° Le goût de la lecture semble plus vif dans le Nord que dans le Midi. Le beau soleil invite à la promenade, à flâner, non à lire. Toutefois cette règle souffre de telles exceptions qu'il n'est pas possible de tracer sur la carte une ligne de démarcation, comme l'on fait pour la culture de la vigne ou de l'olivier.
2° La classe moyenne, petits rentiers, employés, fonctionnaires, est celle qui lit le plus. Les riches préfèrent au livre l'auto, la chasse, tous les plaisirs que l'argent met à leur disposition.. Quant aux ouvriers, bien rares encore ceux qui savent profiter pour lire des loisirs que leur laisse la journée de huit heures. En général, leur éducation sur ce point reste à faire. Cependant, là aussi, la curiosité s'éveille et plusieurs libraires me signalent que des ouvriers leur demandent des ouvrages techniques et d'inventions nouvelles.
3° Le nombre des lectrices s'accroît et l'emportera bientôt sur celui des lecteurs.
4° On achète moins de volumes qu'avant la guerre parce que la grande liseuse, la classe moyenne, gênée par l'augmentation du coût de la vie, est obligée de restreindre ses dépenses. Bien que le livre soit relativement moins cher qu'en 1914 (un ancien volume à 3.50fr se vend 7fr alors que l'indice de cherté de vie est passé de 1 à 3.45), son prix paraît encore excessif.
5° Contre-coup du fait précédent: bibliothèque et cabinets de lecture prêtent davantage d'ouvrages. On emprunte ce qu'on n'achète pas. L'expérience des bibliothèques américaines, telles que celle de Soissons, prouve que les bibliothèques municipales modernisées sont appelées à rendre de très grands services. Leur clientèle change: le nombre des travailleurs sur place, qui se livraient à des recherches d'érudition, décroît malheureusement, tandis que celui des emprunteurs s'accroît. On perd en profondeur ce que l'on gagne en étendue.
6° Le goût de la lecture paraît plus développé qu'en 1914. La guerre imposa des loisirs à beaucoup de personnes qui prirent l'habitude de lire, notamment dans les pays occupés par l'ennemi et dans l'armée où le soldat lisait tout ce qui lui tombait sous la main, jusqu'à des arithmétiques ! D'autres causes ont favorisé ce développement. Le cinéma, que beaucoup accusent, n'y a pas nui. Les fervents tiennent à lire le roman dont la projection leur a plu.
7° De tous les genres, le roman plaît le plus. Il est à peu près le seul demandé dans les cabinets de lecture. "Tous les livres écrits pour l'instruction du peuple (en particulier les livres de sociologie) restent pieusement dans les rayons," écrit l'un de nos correspondants, et les autres réponses confirment la sienne. Les récits de voyages, les mémoires, les ouvrages d'histoire anecdotique et de géographie, les livres de sciences (surtout ceux relatifs à la TSF et aux théories d'Einstein) sont aussi consultés, mais le nombre de leurs lecteurs réunis, n'atteint pas le tiers des lecteurs de romans.
Le roman de moeurs qui prétend peindre la société de nos jours ou résoudre un problème de morale contemporaine est le préféré, et malgré quelques exceptions tapageuses, le genre "convenable" l'emporte sur l'autre. Le roman d'aventures connaît une vogue à laquelle n'est pas étrangère l'influence du cinéma.
8° Les mêmes auteurs sont lus par toute la France. Ils n'ont pas de fiefs particuliers. Tout au plus chaque province témoigne-t-elle plus d'intérêt à l'écrivain qui a parlé d'elle. (En revanche elle oublie facilement ses fils, même de génie, quand ils ne l'ont pas célébrée). Voici, établie après pointage, la liste des auteurs à succès: Bourget, Bordeaux, Anatole France, viennent en tête. Puis, assez loin derrière eux, Dumas père, Loti, Victor Margueritte (depuis la Garonne), Hugo, Bazin, Benoît, les Tharaud, arrivent ensuite, suivis de Maupassant, Balzac, Musset, Paul de Kock, Ohnet, Prévost, Alphonse Daudet, Zola, etc....
Il convient d'ailleurs de remarquer que les mêmes auteurs sont rarement indiqués par les libraires et les cabinets de lecture. La clientèle de ces derniers retarde généralement sur celle des libraires. On achète un livre qui vient de paraître, on emprunte un livre dont on a déjà entendu parler.
9° Bibliothécaire et libraires sont unanimes d'ailleurs à constater que la grande majorité des lecteurs n'a pas de goûts très arrêtés. "On peut leur offrir n'importe quoi, pourvu que ce soit de la lecture", écrit l'un de nos correspondants. Ils absorbent avec le même appétit Eugène Sue et Paul Bourget, Marcel Prévost et Paul de Kock. Ils n'ont le plus souvent d'autre guide que la réclame. Certaines marques bien achalandées (Bourget, Bordeaux) ont leur clientèle attitrée, comme un grand magasin. Le succès, paradoxal, d'Anatole France tient moins à son talent qu'aux louanges qui en sont faites quotidiennement.
Les articles des critiques, utiles à l'auteur, quand ils sont sincères, pour l'encourager ou lui signaler ses défauts, agissent peu, sur le public, semble surtout à la réclame bruyante. On n'achète, on ne lit que le livre dont on parle. D'où la nécessité pour l'écrivain qui veut atteindre au succès de faire parler de soi; pour l'éditeur qui veut vendre, de lancer son produit.
Les délicats s'offusquent de voir les mêmes procédés de réclame utilisés pour les livres et les apéritifs, mais la masse des lecteurs est à la merci des charlatans. Elle le sent, elle cherche qui la guide. D'où le succès des prix littéraires qui désignent tel livre à son admiration, du moins des deux ou trois principaux, car en raison même de ce succès les prix littéraires se sont multipliés; on en décerne chaque quinzaine, l'un fait tort à l'autre et le public, mis en éveil par certains scandales, commence à s'apercevoir que la plupart relèvent de la publicité commerciale.
De notre enquête, on peut conclure que le nombre des lecteurs sinon des acheteurs de livres, s'est accru sensiblement en province depuis la guerre. Leurs préférences vont au roman psychologique "honnête", et dans les ouvrages de cette catégorie, à ceux qui bénéficient de la plus forte réclame. Il appartient aux libraires et bibliothécaires avertis du mouvement littéraire contemporain de remédier en partie au mal en conseillant leurs lecteurs. Leur action sur le public sera le plus efficace.
Voilà une belle enquête complète de notre bibliothécaire (Nadel ou Vendel Henri) faite au début du siècle dernier. N'oublions pas qu'il fut à l'origine du BIBLIOBUS dans tous les départements... Qu'en est-il aujourd'hui des livres et des lecteurs? Les politiques pensent en profiter puisque toutes les vitrines sont pleines de leurs "oeuvres" !!!
Alifer61

"SOUS LE PRESSOIR" de Henri NADEL(Vendel)

N°188(Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187)
Petit complément à notre page n° 89 sur le livre de Henri VENDEL "Sous le Pressoir". Texte vu  sur "La Revue Française de Prague" en 1923:
Ce livre de M. H. Nadel, SOUS LE PRESSOIR, est l'histoire d'un Français, fiancé à une jeune Tchèque,que la guerre sépare de la femme qu'il aime. Qu'on ne croie pas à un roman: c'est une déposition sincère, émouvante par sa sincérité même et l'absence de tout "camouflage" littéraire. L'ouvrage, préfacé par Romain Rolland, n'est certes pas fait pour exalter la guerre; il n'est pas cependant de ceux qui peuvent blesser par un antimilitarisme agressif. C'est la confession d'un jeune homme de corps faible et d'âme tendre, jeté dans une guerre sauvage où tout le meurtrit et le fait souffrir: il est condamné à vivre loin de sa fiancée, qui ne peut quitter la Suisse pour venir le rejoindre en France; il brave les gendarmes pour la voir au-delà de la frontière, à sa première permission; il a un moment l'idée de rester près d'elle, de déserter: mais un patriotisme, d'autant plus fort qu'il est conscient, raisonné, raisonnable, l'oblige à rentrer en France et à reprendre sa place aux tranchées, d'où bientôt la maladie le ramène à l'arrière.
 Un livre discret, écrit avec une élégance raffinée, mais sans mièvrerie, un livre qui fait vivre l'âme même de son auteur et nous fait sympathiser intimement avec ses souffrances physiques et morales.
"Sous le Pressoir", un des beaux livres d'Henri VENDEL.

Alifer61  

LA BIBLIOTHEQUE, ECOLE DE L'ADULTE de Henri Nadel

N°187(Voir n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144)
 Henri NADEL ou Henri VENDEL écrivit de nombreux articles sur différentes revues... Ici c'est un texte de "LA PENSEE FRANCAISE" du lundi 23 mars 1925 sur un sujet qui lui était très cher: la bibliothèque...
En France, l'instruction est obligatoire pour les enfants.. Les adultes sont libres d'oublier tout ce que l'instituteur leur apprit et de vivre dans l'ignorance. La plupart ne s'en privent pas. Combien seraient capables, à trente ans, d'obtenir leur certificat d'études.?
Je ne parle pas des conscrits analphabètes, pourtant trop nombreux, mais de la grande masse des Français qui se contente de jeter chaque jour un coup d'oeil au journal. Les uns regardent les cours de la Bourse ou du marché de la Villette, les autres s'intéressent aux exploits d'un assassin, quand ce n'est pas aux confidences d'un bambin de cinéma. Notre peuple vit à peu près comme s'il ne savait pas lire.
Et cependant la France est une démocratie, c'est-à-dire un gouvernement où le peuple exerce la souveraineté. Tout Français âgé de vingt et un ans  a le droit de vote, même s'il ne peut épeler le nom que porte son bulletin.
De ces contestations il ressort que théoriquement nous sommes gouvernés par une majorité d'ignorants. S'il n'en va pas tout à fait ainsi dans la pratique, c'est que le peuple ne gouverne pas réellement. Il délègue son pouvoir à des mandataires qui trop souvent d'ailleurs le bernent et l'exploitent. 
Incapable de se diriger soi-même, il est en tutelle. Son ignorance le livre à des maîtres, car il ne suffit pas d'inscrire sur le fronton des temples: liberté, égalité, fraternité, ou de proclamer la dictature du prolétariat pour que le peuple soit libre."Sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est toujours esclave" disait Condorcet.
Tout démocrate doit donc souhaiter que le peuple s'instruise pour que se réalise enfin la démocratie. J'ajoute même que ceux qui redoutent ce régime doivent cependant désirer l'instruction du peuple comme une sorte de contrepoison, car ils admettront qu'une démocratie sera d'autant moins nocive qu'elle sera plus éclairée.
Nous avons en France surtout, de multiples raisons d'instruire le peuple. N'y a-t-il pas là un moyen de remédier à notre faible natalité, c'est-à-dire de compenser la quantité par la qualité? Pour que la France garde son renom, tous les Français doivent former une élite. Hélas! il ne semble pas qu'on en ait cure en haut lieu. Vous avez pu suivre, à la Chambre, la discussion du budget de l'instruction publique . On s'est préoccupé, à juste titre, de l'enfant, mais de l'adulte? Le cabaret lui suffit.
Et cependant les remèdes ne manquent pas. Je ne parlerai point ici des cours d'adultes, des conférences, des universités populaires, des musées,etc... Je me bornerai aux bibliothèques.
La France possède les plus riches bibliothèques du monde, (nulle n'est comparable à la Nationale qui renferme plus de 3.500.000 volumes ), mais ce sont des bibliothèques aristocratiques, j'entends qui ne servent qu'à une élite de travailleurs. Le peuple les ignore. A côté d'elles, plus modestes,, mais non moins nécessaires, s'ouvrent des bibliothèques populaires. Dès le 1er décembre 1848, le ministre de l'instruction publique se préoccupait de leur établissement. "L'enseignement de l'école, disait-il, considéré jadis comme un luxe, aujourd'hui comme un besoin, ne doit plus être envisagé désormais que comme une excellente préparation.. En effet, pourquoi l'instruction serait-elle un privilège, puisque l'intelligence n'en est pas un? Il faut donc qu'au sortir de ces cours, où l'on a puisé les premiers éléments, l'enfant des communes rurales trouve à sa portée des livres d'instruction pratique et professionnelle, dont l'étude libre forme le complément indispensable de l'enseignement de l'école primaire."
La jeune République n'eut pas le temps de mener sa tâche à bien. Il était réservé à Victor Duruy de donner au mouvement l'impulsion décisive.
"L'établissement d'une bibliothèque, écrivait-il le 2 novembre 1865, est la condition du succès de tout enseignement. Le devoir de toute municipalité est d'établir, dès qu'elle le peut, une bibliothèque publique: elle assure ainsi aux citoyens, avec les moyens de se rendre plus instruits et meilleurs, une précieuse ressource contre l'ennui, contre la paresse et contre l'attrait des distractions mauvaises."
Par les soins de ce grand ministre, la France fut dotée de près de 15000 bibliothèques scolaires destinées à prêter des livres aux habitants des communes.
Leur nombre continua de s'accroître pendant les premières années de la IIIe République. En 1887, il dépassait 34000. On peut donc admettre qu'en France aujourd'hui toute commune possède une bibliothèque.
Le malheur est que presque tous leurs livres dorment sur les rayons. Et cela n'est point le propre des bibliothèques rurales. Vous arrivez dans une ville. Demandez le café du Commerce, le premier venu vous renseignera; demandez la bibliothèque, personne ne la connaît. Si ! d'après les statistiques, un habitant sur mille.
Les bibliothécaires sont, à part quelques exceptions, les premiers à s'en plaindre. Ils ne demandent qu'à travailler. Leur Association, l'A.B.F. se préoccupe des moyens d'attirer les lecteurs. Mais ils ont besoin qu'on leur aide.
Il faut faire de la propagande pour les Bibliothèques, il faut les faire connaître. Elles sont appelées, en ces jours où le prix des livres augmente, où l'ouvrier dispose de plus nombreux loisirs, à jouer un rôle de premier plan. Elles méritent au même titre que l'école primaire, que l'Etat leur porte intérêt. Elles sont l'école de l'adulte.
Il semble malheureusement que l'on s'en rende compte à l'étranger surtout. En Amérique et en Angleterre, la "Public Library" est considérée comme la plus importante des institutions civilisatrices. Le Docteur Harris, chef du Département de l'Instruction, aux Etats-Unis, écrivait dans une communication officielle: "La tâche de l'école, c'est de préparer les élèves à faire un usage fertile de la bibliothèque." En Belgique, la récente loi Destrée témoigne de l'intérêt que porte le gouvernement aux bibliothèques. En Tchécoslovaquie, la loi du 22 juillet 1919 prescrit que " dans chaque commune où il y a au moins une école primaire, il sera fondé une bibliothèque publique contenant des lectures instructives et amusantes."
Il ne se peut pas que la France, après avoir donné l'exemple, se laisse honteusement distancer.
Apologie toute naturelle de la bibliothèque par ...un bibliothécaire, écrite au siècle dernier et toujours valable de nos jours malgré la présence actuelle de la télévision , du web........
Alifer61