samedi 3 mars 2012

LA BIBLIOTHEQUE, ECOLE DE L'ADULTE de Henri Nadel

N°187(Voir n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144)
 Henri NADEL ou Henri VENDEL écrivit de nombreux articles sur différentes revues... Ici c'est un texte de "LA PENSEE FRANCAISE" du lundi 23 mars 1925 sur un sujet qui lui était très cher: la bibliothèque...
En France, l'instruction est obligatoire pour les enfants.. Les adultes sont libres d'oublier tout ce que l'instituteur leur apprit et de vivre dans l'ignorance. La plupart ne s'en privent pas. Combien seraient capables, à trente ans, d'obtenir leur certificat d'études.?
Je ne parle pas des conscrits analphabètes, pourtant trop nombreux, mais de la grande masse des Français qui se contente de jeter chaque jour un coup d'oeil au journal. Les uns regardent les cours de la Bourse ou du marché de la Villette, les autres s'intéressent aux exploits d'un assassin, quand ce n'est pas aux confidences d'un bambin de cinéma. Notre peuple vit à peu près comme s'il ne savait pas lire.
Et cependant la France est une démocratie, c'est-à-dire un gouvernement où le peuple exerce la souveraineté. Tout Français âgé de vingt et un ans  a le droit de vote, même s'il ne peut épeler le nom que porte son bulletin.
De ces contestations il ressort que théoriquement nous sommes gouvernés par une majorité d'ignorants. S'il n'en va pas tout à fait ainsi dans la pratique, c'est que le peuple ne gouverne pas réellement. Il délègue son pouvoir à des mandataires qui trop souvent d'ailleurs le bernent et l'exploitent. 
Incapable de se diriger soi-même, il est en tutelle. Son ignorance le livre à des maîtres, car il ne suffit pas d'inscrire sur le fronton des temples: liberté, égalité, fraternité, ou de proclamer la dictature du prolétariat pour que le peuple soit libre."Sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est toujours esclave" disait Condorcet.
Tout démocrate doit donc souhaiter que le peuple s'instruise pour que se réalise enfin la démocratie. J'ajoute même que ceux qui redoutent ce régime doivent cependant désirer l'instruction du peuple comme une sorte de contrepoison, car ils admettront qu'une démocratie sera d'autant moins nocive qu'elle sera plus éclairée.
Nous avons en France surtout, de multiples raisons d'instruire le peuple. N'y a-t-il pas là un moyen de remédier à notre faible natalité, c'est-à-dire de compenser la quantité par la qualité? Pour que la France garde son renom, tous les Français doivent former une élite. Hélas! il ne semble pas qu'on en ait cure en haut lieu. Vous avez pu suivre, à la Chambre, la discussion du budget de l'instruction publique . On s'est préoccupé, à juste titre, de l'enfant, mais de l'adulte? Le cabaret lui suffit.
Et cependant les remèdes ne manquent pas. Je ne parlerai point ici des cours d'adultes, des conférences, des universités populaires, des musées,etc... Je me bornerai aux bibliothèques.
La France possède les plus riches bibliothèques du monde, (nulle n'est comparable à la Nationale qui renferme plus de 3.500.000 volumes ), mais ce sont des bibliothèques aristocratiques, j'entends qui ne servent qu'à une élite de travailleurs. Le peuple les ignore. A côté d'elles, plus modestes,, mais non moins nécessaires, s'ouvrent des bibliothèques populaires. Dès le 1er décembre 1848, le ministre de l'instruction publique se préoccupait de leur établissement. "L'enseignement de l'école, disait-il, considéré jadis comme un luxe, aujourd'hui comme un besoin, ne doit plus être envisagé désormais que comme une excellente préparation.. En effet, pourquoi l'instruction serait-elle un privilège, puisque l'intelligence n'en est pas un? Il faut donc qu'au sortir de ces cours, où l'on a puisé les premiers éléments, l'enfant des communes rurales trouve à sa portée des livres d'instruction pratique et professionnelle, dont l'étude libre forme le complément indispensable de l'enseignement de l'école primaire."
La jeune République n'eut pas le temps de mener sa tâche à bien. Il était réservé à Victor Duruy de donner au mouvement l'impulsion décisive.
"L'établissement d'une bibliothèque, écrivait-il le 2 novembre 1865, est la condition du succès de tout enseignement. Le devoir de toute municipalité est d'établir, dès qu'elle le peut, une bibliothèque publique: elle assure ainsi aux citoyens, avec les moyens de se rendre plus instruits et meilleurs, une précieuse ressource contre l'ennui, contre la paresse et contre l'attrait des distractions mauvaises."
Par les soins de ce grand ministre, la France fut dotée de près de 15000 bibliothèques scolaires destinées à prêter des livres aux habitants des communes.
Leur nombre continua de s'accroître pendant les premières années de la IIIe République. En 1887, il dépassait 34000. On peut donc admettre qu'en France aujourd'hui toute commune possède une bibliothèque.
Le malheur est que presque tous leurs livres dorment sur les rayons. Et cela n'est point le propre des bibliothèques rurales. Vous arrivez dans une ville. Demandez le café du Commerce, le premier venu vous renseignera; demandez la bibliothèque, personne ne la connaît. Si ! d'après les statistiques, un habitant sur mille.
Les bibliothécaires sont, à part quelques exceptions, les premiers à s'en plaindre. Ils ne demandent qu'à travailler. Leur Association, l'A.B.F. se préoccupe des moyens d'attirer les lecteurs. Mais ils ont besoin qu'on leur aide.
Il faut faire de la propagande pour les Bibliothèques, il faut les faire connaître. Elles sont appelées, en ces jours où le prix des livres augmente, où l'ouvrier dispose de plus nombreux loisirs, à jouer un rôle de premier plan. Elles méritent au même titre que l'école primaire, que l'Etat leur porte intérêt. Elles sont l'école de l'adulte.
Il semble malheureusement que l'on s'en rende compte à l'étranger surtout. En Amérique et en Angleterre, la "Public Library" est considérée comme la plus importante des institutions civilisatrices. Le Docteur Harris, chef du Département de l'Instruction, aux Etats-Unis, écrivait dans une communication officielle: "La tâche de l'école, c'est de préparer les élèves à faire un usage fertile de la bibliothèque." En Belgique, la récente loi Destrée témoigne de l'intérêt que porte le gouvernement aux bibliothèques. En Tchécoslovaquie, la loi du 22 juillet 1919 prescrit que " dans chaque commune où il y a au moins une école primaire, il sera fondé une bibliothèque publique contenant des lectures instructives et amusantes."
Il ne se peut pas que la France, après avoir donné l'exemple, se laisse honteusement distancer.
Apologie toute naturelle de la bibliothèque par ...un bibliothécaire, écrite au siècle dernier et toujours valable de nos jours malgré la présence actuelle de la télévision , du web........
Alifer61