lundi 5 mars 2012

L'Exposition des Arts décoratifs par H. Nadel

N°190(Voir les n°8.9.17.34-65à67-86à91-118à122-133à144-187à189)
 Nouveau texte de notre bibliothécaire NADEL, de son vrai nom Henri Vendel, nous montrant encore ici une autre ouverture à son savoir, texte trouvé sur "LA PENSEE FRANCAISE" du 26 octobre 1925:
Mon ami Jean-François, professeur d'histoire au collège, rentrait hier soir de vacances. Il avait abrégé d'une semaine son séjour au bord de la mer pour visiter l'Exposition des Arts Décoratifs.
- Vous avez vu de belles choses ?
- Certainement. J'en ai vu beaucoup, j'en ai vu trop pour les citer. J'ai admiré, mais le plus souvent au sens latin, miror, je m'étonne. Quand j'ai pénétré dans cette ville de nulle part, aux palais géométriques, je n'ai pu me défendre d'une impression de malaise.
- Vos yeux n'étaient pas habitués aux formes nouvelles. 
- Mes yeux ont moins souffert que mon âme. je me suis senti dépaysé dans mon siècle.
- Vous n'êtes pourtant pas une vieille barbe !
- Je ne crois pas. J'ai trente-trois ans. J'aime mon temps et l'avenir dont il est gros. Cette exposition des Arts décoratifs modernes, je l'ai appelée de tous mes voeux. Qu'elle soit, je m'en réjouis, mais j'attendais plus d'elle qu'elle m'a donné. J'attendais qu'elle me présentât des meubles, des maisons, des objets faits pour moi, c'est-à-dire pour quelques millions de Français qui sont, comme moi, las de vivre dans de la copie d'ancien, et qui voudraient boire dans leur verre et coucher dans leurs bois.
- Si je comprends bien, vous reprochez aux exposants de n'avoir point songé au "Français moyen",  mais de briguer la clientèle de riches argentins ? Je conviens avec vous que cette exposition n'est point à l'usage du peuple et que, de ce point de vue, elle marque un recul sur les tentatives de 1900. On a beaucoup critiqué, non sans raison, les créateurs du "modern-style". Du moins, faut-il leur rendre ce témoignage qu'ils songèrent à mettre dans ses meubles notre société démocratique. Ils échouèrent. Il était naturel, je ne dis point raisonnable, il était naturel que par réaction, leurs successeurs travaillassent uniquement pour quelques favorisés de la fortune.
- Il reste donc à créer un art populaire moderne, car je doute que, même fabriqués en série, de tels meubles soient accessibles à ma bourse. Leur beauté ne vient-elle pas essentiellement du bois précieux dont ils sont faits ?
- J'ajouterai qu'il reste à créer un art provincial moderne, je dirai même campagnard, pour mieux l'opposer à l'art citadin que l'on nous présente. L'une des raisons que l'on donne du triomphe de la ligne droite à cette exposition, c'est que nos yeux sont accoutumés aux aspects géométriques des machines. Cette raison vaut peut-être pour l'habitant d'une grande ville, non pour le campagnard, c'est-à-dire pour la grande majorité des Français dont le paysage ne change guère.
- J'attends donc, pour la campagne, un art moderne assoupli, clair, joyeux, et qui ne s'interdise ni la grâce ni le charme. A Paris, j'ai vu trop souvent, à côté d'oeuvres délicieuses, des salles à manger lugubres et des salons neurasthéniques. Je croyais notre époque frivole; si je la jugeais d'après ses meubles, je jurerais qu'elle est janséniste .
- C'est que nos artistes, suivant le conseil de Fénelon, ne veulent plus rien sacrifier au seul ornement. Ils prétendent n'avoir d'autre guide que la logique.
 S'ils la suivaient toujours, j'aurais à les louer, car j'imagine qu'ils me présenteraient avant tout des meubles pratiques, des habitations confortables, qui tiendraient compte de nos besoins modernes et de notre souci de l'hygiène. C'est avant tout ce que leur demande: un style approprié à leur époque. Mais trop souvent, je n'ai pu m'expliquer certaines formes bizarres que par un désir de changement. Désir que je loue, mais qui n'est pas suffisant.Je reproche à cette exposition de n'être pas assez moderne, car il ne suffit point pour mériter cette épithète de tourner le dos à la Grèce et de remonter jusqu'aux styles les archaïques.
- Mon cher, les extrêmes se touchent. Ne croyez point que ce soit par simple caprice que nos architectes nous offrant des formes cyclopéennes et que nos sculpteurs comme nos musiciens se mettent à l'école des nègres. Nous demandons des modèles aux barbares parce que nous entrons dans la barbarie. Réjouissons-nous. Elle vaut mieux que la décadence. Votre culture classique vous empêche de la goûter pleinement, mais voyez comme elle réjouit la foule des nouveaux riches et ceux qui n'apprirent qu'à conduire une automobile. Ils sont les maîtres, ils ont l'argent. Ce sont eux qui choisissent le style de notre époque, eux,les barbares. Réjouissons-nous, car nous sommes à l'aube des temps nouveaux, à la période pré-romane du ciment armé. L'âge des cathédrales viendra.
VENDEL, homme de tout domaine...
A toutes les périodes de notre histoire, on nous parle des hommes sans grade, de la classe moyenne et naturellement des riches...
Alifer61