vendredi 4 février 2011

L'abbaye de Notre-Dame d'Almenèches.

N°159(Voir les pages:1à6-11à16-31à33-72à74-98à117-123à132-146à158)
Voici une très longue copie de l' "ANNUAIRE des cinq départements de la Normandie" en 1890. C'est le rapport d'une excursion archéologique, faite par les membres de l'Association Normande le mercredi 2 octobre 1889.... Résumé bien explicite de notre abbaye....
Le ciel est gris, la bise est froide, la pluie menace: rien d'engageant pour une promenade matinale. Mais il ne s'agit pas d'une course banale pour chasser le spleen et se mettre en appétit; il y a là des excursionnistes, et pour eux l'alléchante perspective de visiter les restes de la royalle abbaye de Notre-Dame d'Almenèches, et un monument historique comme le château d'O, ne permet pas de songer aux petits inconvénients de la route. C'est plaisir de les voir s'entasser dans l'omnibus du Cheval blanc; il y a là: MM.de Beaurepaire, directeur de l'Association Normande, Gustave Le Vavasseur, Bataille, de Longcamp, Le Borgne, l'abbé Desvaux, qui retrouveront en route MM. les abbés Piel et Niquet. Le maître de l'hôtel s'est réservé à lui-même l'honneur de les conduire. Il est huit heures, quand la machine s'ébranle et roule en cahotant sur le pavé raboteux.
Au milieu du cliquetis des glaces qui résonnent en tremblant dans leurs châssis, il est difficile de s'entendre et d'échanger ses impressions. Au reste, le pays que nous traversons est d'aspect monotone; c'est une vaste plaine, les arbres y sont trop clairsemés pour la parer de leur riche décor d'automne, et il faut ajouter qu'un brouillard intense s'obstine à nous voiler l'horizon.
A quelques kilomètres de Sées, nous apercevons à gauche le village de Macé et la tour massive qui domine l'église. Dans le choeur de cette église, on voit encore l'emplacement du tombeau des S.S.Raven et Rasyphe, martyrisés en ce lieu vers le IIIe siècle. La crainte des Normands fit transférer leurs reliques à Saint-Vaast, près Bayeux, au XIe siècle. En 1047, Hugues II, évêque de Bayeux, les transporta dans sa cathédrale, où plus tard l'évêque Eudes les fit placer dans une châsse, qui était une merveille d'orfèvrerie. Au temps des guerres de religion, le duc de Bouillon, gouverneur de la province, ayant rassemblé dans la forteresse de Caen les trésors religieux et artistiques du pays, fondit les reliquaires, pour en faire de la monnaie, et fit disparaître les reliques. Le maréchal de Fervaques, commandant d'une des compagnies de chevaulégers levés par Bouillon, recueillit les deux chefs des martyrs de Macé, et les déposa dans son château de Grancey, en Champagne, où ils sont toujours restés depuis.
Au milieu de la bourgade, se voit une croix de pierre élevée près d'une fontaine; c'est en ce lieu que, d'après la tradition, les deux saints furent mis à mort.
La commune de Macé se compose des anciennes paroisses de Macé (Mathiacus) et de Saint-Léger-de-la-Haye, réunies au moment du Concordat. La cure de Macé, sous le titre de Saint-Aubin, était à la présentation de l'abbesse d'Almenèches et possédait un revenu de 5.000 livres. Elle était le centre d'un doyenné qui comprenait neuf paroisses. Messire Pierre Pavy, curé de Macé, dans le milieu du XVIIe siècle, était l'un des prêtres les plus instruits et les plus zélés de son époque. Il fut chargé par Jacques Camus de Pontcarré, évêque de Sées, de donner des missions dans son diocèse et de fonder le séminaire diocésain.
Un kilomètre après Macé, la plaine est moins nue et moins sévère: "Cà et là, écrivait, il y a quelques vingt ans, un de nos compagnons de route, on y voit des courtils, des enclos, des haies touffues, des arbres aux branches capricieuses; les champs font place aux herbages; le vert réjouit les yeux; les bestiaux s'enfuient sur le passage de la locomotive. Nous sommes en pleine et plantureuse Normandie. Les poulains et les chevaux détalent au galop et pétrissent le gazon humide; ils ont l'air farouche et fier et interrogent l'horizon, les naseaux ouverts. On voit qu'ils se sentent de la race des vainqueurs et qu'ils sont les compatriotes de Bois-Roussel, de Fille-d-l'Air et de Vermouth". Ce petit tableau est vivant, mais, hélas ! le brouillard qui dure toujours nous le dérobe.
L'excursion arrive près de l'église du Château-d'Almenèches. Pas plus, que celle de Macé, nous n'avons le loisir de la visiter: son extérieur ne promet d'ailleurs rien de bien intéressant.
Le nom de cette localité vient du château seigneurial, bâti par la puissante maison de Bellesme, qui possédait tout le pays. De ce château, il ne reste plus qu'une motte, entourée de fossés profonds, que nous apercevons sur le bord du chemin. C'est près de ce lieu, que se trouvait l'abbaye, dont sainte Lanthilde était abbesse, tandis que sa nièce, sainte Opportune, soeur de saint Godegrand, évêque de Sées, régissait une petite communauté, appelée monasteriolum, dans l'endroit où Roger de Montgommery rétablit plus tard l'abbaye d'Almenèches. Pour peu qu'on examine la légende de nos saints et la topographie des lieux, on reconnaîtra que c'est sans aucun fondement que quelques écrivains ont placé ce monasteriolum à Montreuil-l'Argilé, dans l'Eure ....(erreur bien fondée, semble-t-il, Sainte Opportune ayant pris la suite de sa tante sainte Lanthilde...)
L'église du Château-d'Almenèches, désignée dans une Bulle du pape Alexandre III (1178) sous le nom de Ecclesia sancti Albini de Castello veteris Almanischis,était à la présentation du seigneur temporel; elle faisait partie de l'archidiaconé de Sées et du doyenné de Macé. Son revenu n'était évalué officiellement qu'à 2.44 livres, mais on sait que pour avoir le chiffre véritable, il faudrait plus que doubler cette somme:  c'était, en réalité, une des plus considérables du diocèse. Aussi, nous voyons qu'en 1787, Louis-Guillaume Beaudoin, curé du Château-d'Almenèches, ayant été nommé à la cure de Notre-Dame d'Alençon, n'attendit pas même l'expiration de l'année d'option, pour se prononcer en faveur de son ancienne cure, qu'il reconnut être de beaucoup plus avantageuse.
La vallée où nous entrons est arrosée par la rivière du Don, qui se jette dans l'Orne, à Médavy. C'est près du lieu où nous la traversons, qu'en 1137, Enguerrand de Courtomer et Robert de Médavy mirent en déroute l'armée de Geoffroy Grisgonelle, comte de Vendôme, et de Geoffroy, comte d'Anjou. Depuis plusieurs mois, leur armée ravageait les campagnes d'Alençon, d'Ecouché, de Montreuil, de Lisieux, et quelques jours auparavant, ils avaient incendié l'église et la bourgade du Sap. Ordéric Vital fait un pompeux récit de cette bataille, mais à coup sûr, il s'exagère l'importance de ce fleuve du Don, qu'il regarde comme une infranchissable barrière. Il paraît que ces malheureux diables d'Angevins avaient eu la malchance de trouver le Don dans un de ses jours de colère; en effet, M. Gustave Le Vavasseur nous assure qu'au moindre orage et à toutes les fontes de neige, la modeste rivière, qui d'ordinaire dérobe son courant sous la feuillée tremblante de ses peupliers, prend tout à coup des allures menaçantes et se met en train d'effrayer le voisinage par ses débordements. Notre illustre compagnon de route a de bonnes raisons pour connaître, mieux qu'Ordéric Vital, le Don et sa riche vallée. Ici, ce n'est plus le poète qui dimanche promènera son esprit dans l'air avec les corbeaux nasillards des clochers de Sées. A Almenèches,  c'est un vrai rural, un terrien, ayant revenus, ferme et de jolis lopin s de terre, ma foi. Il nous en montre, et ici, et là, et encore, et encore; je crois, volontiers, qu'il en possède même plus que défunt Monsieur le marquis de Carabas. E quelle terre ! c'est bien l'idéal qu'elle entrevoyait, la vache du joli sonnet de Germain Lacour, quand elle rêvait:
"............... de prés et de campagnes vertes
D'un large et gras tapis tout au loin recouvertes,
Pleines d'ombre le long des gais ruisseaux jaseurs."
Peu après avoir effectué nous-mêmes le passage du Don, sans soupçon du danger, nous rencontrons, au bord de la route, une croix de pierre avec l'inscription:  Croix Sainte-Opportune, et nous voyons au bout d'une avenue d'ormeaux, la gracieuse chapelle du Pré-Salé, qui se détache,  blanche et pure, sur un fond de feuillage. Cet édifice, de style ogival, fut élevé, en 1869, sur le lieu que la tradition locale regarde comme le théâtre d'un miracle de Sainte Opportune, l'abbesse d'Almenèches. Nous en empruntons le récit à une Vie de la sainte, en vers, du XIVe siècle:
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Seigneurs, or vous plaise à ouir,
Mieux en vaudrait de retenir, 
Quels miracles notre Seigneur,
Fist en sa vie pour l'amour :
Or avint que tant seulement,
N'avoit qu'un asne en leur couvent,
Qui toujours du bois aportoit
De la forest qui près estoit :
Le forestier l'asne a prins
Erraument l'a en prison mins,
Requis l'ont souvent et menu
Oncques ne peut estre rendu.
La dame alors jusqu'au seigneur,
Qui du pays était le gregneur;
Sire, notre asne que tenez,
Pour Dieu, s'il vous plaît, rendez.
Le sire répond cruellement :
Ce pré qui là est si grand
Sera couvert de sel menu
Avant que l'asne soit rendu.
Tantost la dame s'en revint
Au monstier, à genoux se mint.
Puis réclama son Créateur
Qu'elle ait son asne sans demeur.
L'endemain fut le pré couvert
De sel menu tout en apert.
Quand ly sire voit et entend
De ce qu'il a fait se repend.
L'endemain le riche homme vist
A sainte Opportune et lui dist :
Sainte dame, merci requiers
De ce que vius fist avant-hier,
Vostre asne rend a toujours mez
Et la franchise en mes forés,
Et le pré tout couvert de sel
Donne et quitte à cet hostel.
Quand il eust donné et promis,
Le sel fut fondu et remis.
Ce miracle est partout allé,
Encore a nom le Pré-Sallé.
Nous voilà enfin arrivés à Almenèches. Des constructions simples, mais proprettes, se groupent autour d'une place carrée. Au fond de cette place, à gauche, le cimetière où s'éleva, jusqu'à la Révolution, l'église de Saint-Pierre, centre religieux d'une paroisse, comprenant deux portions: l'une sous le titre de la Sainte-Vierge, l'autre sous celui de Saint-Pierre. Toutes deux étaient à la présentation de l'abbesse du lieu, faisaient partie de l'archidiaconé du Houlme, du doyenné d'Argentan, et avaient chacune 1.500 livres de revenu.
A droite de la place, s'élève l'ancienne église de l'abbaye, devenue église paroissiale, en 1755. Avec les murailles de clôture et quelques constructions insignifiantes, c'est tout ce qui reste de l'abbaye, illustrée par sainte Opportune; mais ce reste est un  monument du plus haut intérêt, et il nous dédommage amplement des ruines causées par le temps et les révolutions.
L'abbaye de Notre-Dame d'Almenèches était, selon l'opinion la plus accréditée, du nombre des quinze monastères fondés, au VIIe siècle, par saint Evroult. Elle fut gouvernée, au VIIIe siècle, par sainte Opportune, fille d'un gouverneur de l'Hyesmois, et soeur de l'évêque de Sées, saint Godegrand. Entre ses mains, cette communauté, jusque-là fort modeste (monasteriolum), devint nombreuse et florissante. Après lamort d'Opportune, arrivée en 776, le culte de la sainte abbesse se répandit rapidement au-delà des limites de la province. De nombreuses églises s'élevèrent sous son vocable, l'Université de Poitiers se mit sous son patronage, et le roi Louis le Bègue fonda, à Paris, en son honneur, une collégiale, qui fut l'objet des faveurs de nos rois jusqu'à la Révolution.
La vie de sainte Opportune fut écrite, au IXe siècle, par saint Adelin, évêque de Sées. L'ouvrage, qui a pour titre: Vita sanctae Opportunae abbatissae, est divisée en deux livres, dont le premier est consacré au récit de la vie de sainte Opportune et de saint Godegrand, son frère; le second donne la relation des miracles obtenus par son intercession.
Ce monument, l'un des plus remarquables et le plus ancien de notre littérature provinciale, a été publié pour la première fois par Surius, mais seulement en partie. Mabillon, ayant eu entre les mains un manuscrit de l'église collégiale de sainte Opportune de Paris, en publia une édition enrichie de notes et d'observations préliminaires, qui figure dans sa grande collection des vies des saints bénédictins. L'ouvrage de Saint Adelin est également reproduit par Godefroy Henschen, dans les Acta Sanctorum. En 1054, Nicolas Gosset, curé de saint Opportune de Paris, fit imprimer les deux livres de saint Adelin, en y ajoutant deux autres de sa composition. Dans la seconde moitié de notre siècle, plusieurs travaux ont été publiés sur la vie et le culte de sainte Opportune; les plus importants, comme aussi les plus remarquables, sont ceux de MM. Blin et Durand.
Le monastère d'Almenèches ayant été à peu près détruit par l' invasion normande, en 870, les ducs de Normandie s'emparèrent plus tard de son emplacement, que le duc Richard II donna , en 1026, aux religieux de Fécamp. En 1066, Roger de Montgommery, comte de Bellesme, ayant indemnisé ces religieux, rétablit l'ancienne abbaye qu'il plaça sous la direction de sa fille Emma. Sous le gouvernement de cette abbesse, et sous celui de Mathilde, également de la maison de Bellesme, le sort de l'abbaye fut en quelque sorte lié aux alternatives de grandeur et d'adversité de cette célèbre famille. Mais ces troubles et ces vexations de toute sorte ne faisaient que fortifier la vert des saintes filles d'Opportune. Pendant deux siècles, elles furent, par leur piété, l'édification du peuple et des grands, qui enrichirent la maison de nombreuses fondations. Dans une bulle de 1178, signée de huit cardinaux, le pape Alexandre III confirme, en les énumérant, toutes ces fondations, et fait le plus bel éloge de la régularité qui régnait dans la maison. Le bien-être et les douceurs de la paix furent  plus funestes à la communauté que l'invasion normande et les discordes des seigneurs du pays. Avec le XIIIe siècle, commence une période de relâchement et de désordres qui étaient à leur comble,  lorsqu'en 1250, 1255 et 1260, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, visita Almenèches. Après avoir constaté à chacune de ses visites le déplorable état religieux de la maison et le peu d'amélioration produit par ses observations, le prélat recommanda à Geoffroy de Mayet, évêque de Sées, et à Thomas d'Aunou, son successeur, d'y rétablir une réforme sévère. Cette réforme, si elle eût lieu, fut sans doute peu importante ou du moins sans durée; car, sous le gouvernement de l'abbesse Jacqueline Hendé, le désordre qui régnait à Almenèches fut signalé au pape Léon X par Charles IV, duc d'Alençon. Ce pontife adressa une bulle de réforme, en 1518. Dix ans plus tard, nous voyons la nouvelle abbesse, Marie de la Jaille, faire les plus grands efforts pour mener à bonne fin l'oeuvre de la réformation. Elle eut à lutter contre la résistance de la plupart des religieuses, et mourut en 1533, sans avoir la consolation de voir la réussite complète de son entreprise. L'observance stricte de la règle bénédictine ne fut entièrement mise en pratique que par Louise de Médavy, chargée des fonctions abbatiales, en 1599. Elle appela à la direction spirituelle de la communauté maître Pierre Pavy, prêtre rempli de science et de piété, qui devint plus tard curé de Macé, donna des missions diocésaines et fonda le séminaire de Sées. Cet ecclésiastique fit refleurir dans la maison l'amour de l'observance et la ferveur, et, grâce à son influence, l'abbesse put rétabli la clôture monastique en 1620. Son oeuvre fut continuée par Marie-Louise et Marie-Madeleine de Médavy, qui lui succédèrent.
En 1733, il fut question de supprimer l'abbaye d'Almenèches, pour en reporter le siège et le titre au prieuré de Notre-Dame-de-la-Place, à Argentan. Ce fut un coup de foudre pour les gens du pays et pour les religieuses surtout. Par l'organe de Mme de Villebadin, leur prieure, elles protestèrent "qu'elles étaient toutes dans la résolution de ne point sortir de la maison d'Almenèches, quoiqu'il arrivât, et qu'ayant fait leurs voeux dans cet asile béni, elles y voulaient vivre et mourir." Le 25 juillet de la même année, le marquis de Chambray rédigea en ce sens un long mémoire, que sa soeur l'abbesse Hélène de Chambray se chargea de présenter elle-même à la Commission ecclésistique réunie à Paris. Mais l'évêque de Sées, Jacques Lallemant, qui poursuivait l'affaire, n'était pas homme à se laisser effrayer par l'opposition, à laquelle d'ailleurs son administration était habituée. Pour avoir raison des difficultés, il avait plus souvent recours à l'autorité royale qu'aux brefs de Rome, et pour lui l'appui de son frère Lallemant de Lévignen, l'intendant d'Alençon, était plus précieux qu'un bon texte du droit caninique. Cette fois encore, il obtint de la Cour une lettre de cachet, qu'il notifia lui-même à l'abbesse, et qui était con çue en ces termes:
"Chère et amée, voulant pour bonnes considérations, et de l'avis du sieur évêque de Sées, que l'abbaye de Notre-Dame d'Almenèches, dont vous êtes abbesse, soit transférée dans la maison régulière, ap^partenant à la dite abbaye, dans la ville d'Argenan, avec les religieuses de votre abbaye, auxquelles vous enjoindrez de vous y suivre et accompagner. Nous permettons néanmoins de laisser dans la dite maison d'Almenèches celles de vos religieuses que vous jugerez y être absolument nécessaires. Si n'y faites faute, car tel est notre bon plaisir.
Donné à Versailles, le 10 septembre 1736. 
"Signé: Louis."
Les religieuses, appuyées par les gens du lieu, ne se laissèrent expulser que par la force armée, et ce n'est qu'après avoir soutenu un véritable siège contre la maréchaussée, qu'elles quittèrent leur chère abbaye.
Dans le même siècle, la Révolution acheva, au nom de la volonté du peuple, la destruction du monastère, qui avait été commencée au nom du bon plaisir royal.
L'abbaye d'Almenèches compte vingt-sept abbesses connues. Parmi ses principaux bienfaiteurs et les soutiens de ses privilèges, on doit citer les papes Alexandre III, Alexandre IV, Urbain IV; les rois d'Angleterre, Henri I, Henri II et Richard Coeur de Lion; les rois de France, Saint-Louis, Philippe de Valois, Charles et François 1er.
Trois baronnies: Almenèches, Camembert, Saint-Sylvain, un fief noble, Vilhatel (paroisse d'Essey), étendant leurs rameaux sur plusieurs paroisses composaient son domaine.
L'abbesse avait la collation des deux portions de la cure d'Almenèches, de Macé, de Boitron, des Lignerits, dans le diocèse de Sées; de Cinq-Autels, dans le diocèse de Bayeux, de Camembert, des Atelles, de Pont-d-Vie et de Saint-Germain-de-Montgommery, dans le diocèse de Lisieux.
L'église de l'abbaye, devenue église paroissiale, n'a pas trop souffert des injures du temps et des révolutions. Depuis l'époque de sa première construction, elle a subi bien des remaniements. Brûlée le jour de Pâques 1308, elle fut remplacée par un édifice ayant la forme d'une croix latine. Les bras de la croix étaient formés par la chapelle Saint-Etienne, du côté de l'évangile, remplacée 34 par celle de sainte Opportune, et du côté de l'Epître, par celle de Saint-Jean l'Evangéliste, reconstruite à la même époque sous le vocable de la Sainte-Vierge. Cette nouvelle église, bâtie sur des fondations calcinées par l'incendie, fut de peu de durée, car en 1534, nous voyons l'abbesse Louise de Silly commencer la reconstruction de la nef qui déjà menaçait ruine. Elle put mener son entreprise à bonne fin, grâce aux largesses de Marguerite de Navarre, duchesse d'Alençon et soeur de François1er. "La nef de l'église d'Almenèches, lisons-nous dans l'Orne archéologique, date de la moitié du XVIe siècle, elle ne brille point par la profusion d'ornements qui distingue la plupart des monuments du même âge. Son mérite consiste  dans l'harmonie des proportions, dans l'heureuse disposition de ses fenêtres à plein cintre et à légers meneaux, dans l'élégante simplicité des voûtes dont les clefs seules s'abaissent en gracieux pendentifs." A l'extrémité de cette nef, se trouvent deux chapelles, dont l'une est surmontée d'une tour massive, qui paraît antérieure à la nef, mais dont la décoration a dû être ajoutée au moment de la construction de cette dernière. C'est par la porte, qui s'ouvre au pied de la tour, que les fidèles avaient accès dans l'église; la chapelle d'en face était réservée aux religieuses. Cette porte est une des parties les plus remarquables de l'édifice: c'est une baie à plein cintre, avec pilastres dans le style de la Renaissance. Elle se rattache à une fenêtre ogivale par une ornementation, comprenant trois niches accompagnées de consoles, d'enroulements, de palmettes, de chimères et de rinceaux, avec l'inscription: RESTAVRATVM E HOC TEMPLVM A RVINA EX VETVSTATE SYBSECVTA 1534. Cette tour, qui ne s'élève pas au-dessus des combles de l'église, est terminée par une lourde charpente, de l'aspect le plus disgracieux. Sur le mur, en face la porte d'entrée, on lit l'inscription: Ce temple, lequel a été ruiné par antiquité, fut commencé à réédiffier l'â de grace 1534, et fut parfait l'an 1550, par reverëde dame, Madame Loyse de Silly, abbesse de céas. Gloire et honé soit au Seigneur. Au-dessous de cette inscription, on voit au pied de la muraille une excavation par laquelle s'aperçoivent, au-dessous du sol, les restes d'une porte et d'un escalier conduisant à la crypte du tombeau de saint Godegrand. Ces deux chapelles étaient séparées de l'église par une muraille s'élevant jusqu'à moitié de leur hauteur. Cette muraille, édifiée lors de la construction du choeur, fut supprimée ces années dernières par le curé de la paroisse.L'abbesse Marie-Louise de Médavy commença, en 1674, le nouveau choeur de l'église. Pour exécuter cette construction massive et du plus mauvais goût, flanquée de deux petites chapelles écrasées, on sacrifia les monuments qui rappelaient les plus chers souvenirs de l'abbaye. Au-dessous de la chapelle de sainte Opportune, dédiée autrefois à saint Etienne, se trouvait la crypte et le tombeau qui posséda le corps de saint Godegrand, évêque de Sées, depuis le moment où il fut déposé par les pieuses mains de sa soeur Opportune, jusqu'au temps de l'invasion normande.
"Il y a environ quarante ans, écrivait dom Jomillain, en 1710, en jetant les fondations d'une nouvelle muraille, on trouva une ancienne porte et dix ou douze petits degrés, qui conduisaient à un lieu souterrain sur lequel était une chapelle desaint Etienne. On crut, et avec beaucoup de raison, que sous cette chapelle était le tombeau de saint Godegrand. Le cintre de cette vieille porte se voit encore presque à demi enterré sous le gros clocher de l'église, proche la porte de l'escalier de la tour. Vis à vis de la chapelle saint Etienne, était celle de saint Jean l'Evangéliste, du côte de l'épistre où est maintenant la chapelle Notre-Dame. L'ancienne traditio était que sous cette chapelle était le lieu de la sépulture de sainte Opportune, dans une autre chapelle souterraine, où l'on descendait comme dans celle de saint Godegrand, par dix ou douze degrés fort étroits. L'entrée de cette chapelle fut fermée aux séculiers en l'an 1620, auquel la clôture fut établie au monastère par madame Louise de Médavy,  abbesse; les religieuses seules y faisaient depuis leurs dévotions et processions. Il y a bientôt quarante ans que ces deux chapelles de saint Jean et de sainte Opportune ayant été détruites, on en a établi une en l'honneur de sainte Opportune à la place de saint Etienne."
Ces deux chapelles renferment des autels du XVIIe siècle, avec rétables et bas-reliefs en pierre du plus grand mérite. L'un d'eux porte la signature d'un moine de Silly qui les a exécutés:"Chauvel fecit,1679." Celui de la chapelle de sainte Opportune représente l'apothéose de la sainte abbesse; l'autre, d'un travail encore plus achevé, nous montre la Sainte-Vierge présentant l'enfant Jésus aux adorations des Anges.
Dans la chapelle de gauche, on voit, sur la muraille, un fac-simile de tombeau en marbre, d'où sortent à mi-corps les statues de saint Godegrand et de sainte Opportune, avec l'inscription:" Ce tombeau a été faist en mil six cent quatre vingt douze pour conserver la mémoire de (celui de) saint Godegrand et de sainte Opportune, lequel fut destruit en mil six cent soixante et quatre, quand ceste église reddifiée." Ce monument commémoratif est d'un effet bizarre et mesquin. Au-dessus de cette chapelle, qui n'a pour voûte qu'un simple plancher de bois avec solives, se trouvait une tribune pour les religieuses malades. Le maître-autel, oeuvre du même artiste et exécuté dans le même genre que ceux des chapelles, est d'un travail fort remarquable. Le rétable, en pierre et en marbre noir, encadre un tableau signé: Lechappeur, et représentant l'Adoration des Bergers. Des statuettes et des bas-reliefs en terre cuite décorent le tabernacle et les gradins de l'autel. On y reconnaît saint Etienne, saint Laurent, Abraham, Melchisédech, les quatre Evangélistes, les scènes de la Flagellation et de la Sépulture de J-C; ces petits chefs-d'oeuvre, d'une finesse exquise d'expression, sont malheureusement empâtés de peinture et de dorure. En haut du rétable, une grande statue du Sauveur, et de chaque côté de l'autel, deux autres statues désignées, par M. l'abbé Durand et M. l'abbé Blin, sous les noms de Saint Benoît et de sainte Scholastique; par l'Orne archéologique et M. Gustave Le Vavasseur, sous ceux de saint Benoît et de sainte Opportune. Ne serait-ce pas plutôt l'image des deux fondateurs de la maison: saint Evroult et sainte Opportune? Au témoignage de dom Jomillain, le saint abbé d'Ouche avait eu autrefois une chapelle dédiée en son honneur dans l'église d'Almenèches, et la statue d'un abbé, qui se voit maintenant en cette église, est de la même époque et absolument semblable à celles qui représentent saint Evroult avec la crosse abbatiale et le livre de la règle,  dans les églises de Saint-Evroult de Montfort, de Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois, et dans les deux chapelles de la forêt et des ruines de l'abbaye en ce dernier lieu. Au contraire,  les divers caractéristiques des statues de saint Benoît sont le doigt appliqué sur la bouche, image du silence monastique; le verre brisé, d'où s'échappe un serpent, souvenir d'un miracle opéré à Subiaco par le saint patriarche, un faisceau de verges, qui signifie la mortification des sens et aussi les châtiments corporels recommandés en certaines circonstances par la règle bénédictine; sa croix ou médaille, le corbeau, le crible, qui rappellent différents faits de la vie du saint. Sainte Scholastique est représentée avec une colombe, à cause du miracle qui accompagna son trépas, tandis que la crosse seule convient aux images de sainte Opportune, dont le culte n'a pas été assez généralisé pour qu'elle pût avoir un emblème spécial.
Des travaux importants de restauration s'exécutent depuis quelque temps dans l'église d'Almenèches, et, à part quelques verrières et peintures d'un goût et d'un style assez contestables, ils semblent conduits avec science et tout le respect que mérite ce beau monument.
Almenèches était le chef-lieu d'une sergenterie du plaid de l'épée, qui fut inféodée au commencement du XVe siècle. Elle fut divisée plus tard en deux portions: celle d'Almenèches proprement dite, comprenant huit paroisses, et celle de Mortrée comprenant dix paroisses. Cette sergenterie, qui dépendait primitivement de la châtellerie de Sainte-Scholasse, fut, plus tard, rattachée à celle d'Essey.
Après avoir visité en détail toutes les curiosités que pouvait offrir Almenèches, l'excursion prend la route d'O. A environ deux kilomètres, nous sommes en face de l'église de Médavy, construction moderne de style ogival..................................................................................................................   ..........................................................................................................................................................
Copie conforme du rapport de M. l'abbé Desvaux de son excursion Sées-Macé-Château d'Almenèches- Almenèches.............. avec des récits de cryptes ???......de.........???


Alifer61