vendredi 30 novembre 2012

Adieu de Charles Thibault à Henri Vendel : 4 mars 1949

N°218 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à217)

Vous nous avez quittés si brusquement, Henri Vendel, que notre douleur ne se résigne pas encore à croire à l'irréparable. Le plus longtemps que nous pourrons, nous voudrons garder l'illusion de votre présence au milieu de nous, avec votre visage toujours jeune, à peine marqué de ces quelques rides que Pierre Béarn, d'un mot très juste, définissait "les rides de la bonté". Car vous étiez bon, vous étiez doux, sensible; vous étiez la simplicité, la mesure, le tact personnifiés; la délicatesse de votre pensée s'exprimait, en votre bouche, sous une forme non moins délicate, avec cette pointe d'accent qui, s'ajoutant à votre tranquille sourire, complétait en vous ce caractère de bonhomie, dont chacun se plaisait à éprouver la rayonnante bienfaisance. 
La violence, sous toutes ses formes, vous faisait horreur. Mais le destin avait choisi de vous mettre en contact avec la Champagne, vous Normand d'origine, au temps où la pire des violences s'exerçait au détriment de notre province. C'était en 1915, en pleine bataille de Champagne, à laquelle vous participiez en fantassin. C'était l'époque où la guerre, sans souci de vos goûts et de votre caractère, vous contraignait  à vous battre au Fortin de Beauséjour, à Ville-sur-Tourbe, Tahure, au Mesnil-les-Hurlus, à Souain, Reims, aux Cavaliers de Courcy, avant de vous entraîner plus à l'ouest vers Pinon et le Chemin des Dames. Vous deviez écrire un peu plus tard, dans "Le Pampre", vous adressant à la "Terre Champenois":
"Je t'ai connue quand tu souffrais, aux temps de douleur et de mort. Nuit et jour, la guerre te frappait. Tu tremblais au choc des obus; bêtes féroces, ils t'éventraient de leurs coups de boutoirs, dispersaient ta chair en lambeaux, te pulvérisaient; ils écuissaient les arbres nés de toi, et les humbles maisons de craie, comme les cathédrales, s'écroulaient. Tu n'étais déjà plus que plaies béantes quand tu me reçus. Pauvre gibier que traquent les balles, je me tapis dans tes terriers, je t'habitai comme une taupe. Nuit et jour, je vécus dans ton intimité. Mes pieds ont connu, l'hiver, le lourd mortier de tes chemins; mes cheveux se sont poudrés, l'été, de ta poussière; j'ai dormi sur toi, nu comme une amante. Tu m'avais habillé à ta ressemblance, tout de blanc. Je t'ai souvent maudite, terre croulière qui t'éboulais pendant mon sommeil, trop peu ferme sous l'artillerie. Pourtant, ce n'est pas en vain qu'on souffre ensemble. Je me liai d'amitié avec toi. Plus que la terre où l'on est bien, la patrie n'est-ce pas celle où l'on a le plus peiné?"
Votre amitié pour la Champagne, née de la guerre, ne pouvait que s'affermir et s'épanouir dans la paix pour un temps retrouvée. Nommé Conservateur de la bibliothèque et des musées de Châlons-sur-Marne, vous suiviez, tout ému, la résurrection de la "Terre Champenoise" .
"Tu souffris, mais lentement ta plaie se ferme. Aux toits rapiécés, les tuiles neuves ont des roseurs de cicatrices. Les chantiers recouvrent les ruines, les maçons dressent leurs étemperches près des clochers écroulés, le blé pousse aux champs de bataille." 
Se peut-il, Henri Vendel,que vos yeux se soient à jamais fermés, se peut-il que vous n'assistiez plus à ce spectacle : 
"Champagne, comme la lumière est douce, à l'automne, sur tes villages roses, au flanc  des coteaux que le pampre dore ! Et que tes filles sont jolies qui versent le vin blond empanaché de mousse ! Elles dansent, le soir, au son des violons, tandis que, dans la clairière, un lapin bleui par la lune songe, mélancolique, à Messire Jean de la Fontaine, chantre attitré de ses ancêtres."
Vous aviez composé ce tableautin vers 1923. Depuis, vous ne vous étiez jamais lassé de contempler de telles visions. A l'automne dernier, alors que nous flânions ensemble, par une lumière idéale, à travers le vignoble champenois aux pampres dorés, vous exprimiez le même contentement. Du haut des coteaux d'Avize à Cramant, vos regards embrassaient longuement la plaine de Champagne et vous cherchiez au loin, vers l'horizon, la silhouette de la cathédrale de Châlons; au Mesnil-sur-Oger, vous admiriez en esthète la grâce des blondes vendangeuses qui versaient en nos flûtes le vin blond empanaché de mousse. Hélas, ce soir, ces filles jolies ont trop de peine pour danser au son des violons. Et si, dans la clairière, le lapin bleui par la lune songe, mélancolique, à Messire Jean de la Fontaine, il songe encore plus mélancoliquement à vous, qui venez de nous abandonner pour aller rejoindre le fabuliste au Paradis des Poètes.
Vous étiez fait, Henri Vendel, pour comprendre et aimer la Champagne, comme la Champagne était faite pour vous comprendre et vous aimer. En vous, elle pleure aujourd'hui un fils, un des meilleurs de ses fils. Elle s'était penchée sur votre oeuvre d'écrivain, heureuse comme une mère de votre participation aux études de ses sociétés savantes, de votre collaboration à ses revues littéraires: "Le Pampre", la "Champagne Illustrée", les "Cahiers Champenois", "La Grive"... Elle avait lu avec attendrissement les plaquettes où vous lui témoigniez votre profonde affection: "Beauté de Châlons", "Artistes châlonnais de jadis et de naguère", "Fées de Champagne", "Don de la Champagne au monde". Elle était fière de vous, de l'auteur de "Sous le Pressoir", "La Consolatrice", "Lorsque l'enfant portait le monde", du poète de "Visage".
Ah, le délicieux poète que vous étiez. Vous composiez sur le mode champenois qui est exempt de vaine emphase, tout en nuances, en harmonies discrètes; vous possédiez un sens parfait de la mesure; vous communiquiez vos pensées, votre émotion, avec une grâce pudique sous laquelle perçaient pourtant votre évidente sincérité, et la foi chaleureuse de votre coeur pur.
Que ce coeur avait été déchiré par les revers et les malheurs de la France! Ces revers et ces malheurs vous avaient inspiré de touchants poèmes réunis sous le titre de "La Couronne d'Epines";  l'un d'eux était dédié à la "France invincible" et vous n'aviez pas craint de l'afficher, aux jours les plus sombres, en plein Paris, de le jeter ainsi à la face de l'occupant pour marquer votre espérance et votre défi.
Mais l'Allemand ne vous pardonna pas ce défi, ni quelques autres manifestations de votre hostilité. Le 10 mars 1944, vous fûtes arrêté et conduit à la prison de Reims; libéré le 27 mai, vous n'en demeuriez pas moins suspect à la Gestapo qui, le 12 juin, se présentait à nouveau chez vous dans le ferme dessein de vous déporter en Allemagne... mais ne vous trouva pas. Nous conserverons pieusement les "Chants du couvre-feu", composés à cette époque, les uns à la prison de Reims, les autres dans votre fuite errante, alors que vous vous dissimuliez aux recherches de l'ennemi. 
Avec quelle joie vous aviez salué la libération! Mais la Champagne avait, peu après, la tristesse de vous voir quitter Châlons pour assumer les fonctions d'inspecteur général des bibliothèques de France. Elle vous le pardonnait pourtant, flattée par cette éclatante reconnaissance de vos mérites, et confiante en la persistance de votre affection à son égard. Vous reveniez souvent lui rendre visite, vous ne cessiez de contribuer à sa glorification. Mais surtout, vous aviez eu cette magnifique initiative de rassembler les forces intellectuelles de la province, de créer l'Association des "Ecrivains de Champagne" et d'y recueillir fraternellement, à côté des écrivains, les artistes et les hommes de science. Il ne vous suffisait pas d'être le père spirituel de notre groupement; vous en étiez demeuré, depuis sa fondation, l'animateur infatigable et d'un absolu désintéressement; vous en aviez fait, mieux qu'un cénacle fermé, une institution chaque jour plus florissante. Dans leur immense douleur, les "Ecrivains de Champagne" font le serment de rester unis, de continuer la tradition que vous avez instaurée, d'oeuvrer en commun au rayonnement e notre province, suivant un de vos voeux les plus chers.
Au terme de notre adieu, Henri Vendel, laissez vos amis réciter à haute voix, de leurs lèvres tremblantes, un des poèmes les plus caractéristiques de votre inspiration et de votre talent, l'humble, la très humble, mais si belle "Parabole des Simples", qui prend aujourd'hui la profondeur et la résonance d'une prière:
Jésus, doux compagnon, quand les blés seront mûrs,
nous irons par les champs où les mots sont plus purs
Tu prendras dans ta main quelques épis dorés
qui sentent bon le pain et moi j'écouterai
voler sur la moisson tes tendres paraboles.

Le ciel sera peuplé de nos songes heureux.
Aux herbes l'air léger portera tes paroles.
Tu diras de ta voix divine: "Bienheureux
les petits, la linaire, les pensées sauvages,
ceux que nul ne regarde et ne cherche en ce lieu, 
bienheureux les coeurs purs et les humbles visages,
le poète inconnu dont nul nelit les pages,
tous ceux qui n'ont fleuri que pour l'amour de Dieu."
Henri Vendel, trop modeste Henri Vendel, soyez bienheureux, vous qui n'avez fleuri que pour l'amour de Dieu, du beau, du bien, du juste, soyez à jamais bienheureux, dans la paix éternelle du Seigneur.
Pour la première nuit
qu'il repose, gisant dans sa dernière couche,
 la neige tombe,
la neige tombe,
et, sur la tombe,
la terre à peine refermée
est toute blanche;
elle a la pâleur de la craie
de ces tranchées de la Champagne
où naguère il s'était battu. 
Comme autrefois ses camarades
qui moururent dans les combats
de Souain, Tahure ou des Hurlus,
couché dessous la terre blanche,
n'a-t-il pas cette illusion
d'être bercé par la Champagne
cependant qu'il s'endort du sommeil éternel?



mardi 27 novembre 2012

Henri Vendel :           DISCOURS.....

N°217 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à216)


Textes contenus dans les "Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts du Département de la Marne" et écrits par Henri Vendel au nom de la dite société.
1° DISCOURS prononcé le 3 novembre 1932, à Tonnerre, par H.Vendel, vice-président, aux obsèques de M. Ducoudré, président.

Mesdames, Messieurs,
J'ai le douloureux devoir de saluer, au nom de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne, la dépouille mortelle de celui qui était, hier encore, son président.
Des voix plus autorisées que la mienne vous ont dit les éminentes qualités dont fit preuve M. Ducoudré à la tête du tribunal de Châlons-sur-Marne. Ce sont ces qualités mêmes qui le recommandèrent au choix de notre Société lorsqu'elle l'élut membre titulaire en 1910.
Très assidu à nos séances, si les occupations parfois écrasantes, de sa charge ne lui permirent pas de collaborer autant qu'il l'eût voulu à nos travaux, du moins ses conseils nous furent-ils toujours du plus grand prix.
Sa compétence en matière juridique, la haute idée qu'il se faisait de la justice, son autorité, étaient appréciées de tous nos collègues et c'est à l'unanimité qu'il fut élu président de notre société en 1930.
Nous attendions beaucoup de sa direction. N'était-il pas le Président par excellence?
Hélas! un mal qui ne pardonne pas le frappait au moment même où il allait pouvoir consacrer les loisirs de la retraite à notre compagnie. Du moins ne cessa-t-il, même dans la maladie qui le tenait éloigné de nous, de lui témoigner son intérêt, et l'un de ses derniers gestes nous le prouvait récemment encore de la façon la plus délicate et la plus généreuse.
Aussi est-ce avec une émotion douloureuse que je dis adieu à celui dont la Société Académique de la Marne gardera pieusement le souvenir. Puisse la sympathie dont tous ses confrères l'entouraient apporter quelque réconfort à Mme Ducoudré et à sa famille dont nous saluons bien bas la douleur.

2° DISCOURS prononcé le 8 mars 1933 par H. Vendel, Président aux obsèques de M. H. Gérard, ancien président.

Mesdames, Messieurs,
Au nom de la Société Académique de la Marne, au nom de la Société de lecture et d'enseignement, au nom du Comité de la Bibliothèque municipale, j'ai le douloureux honneur de saluer, au seuil de sa maison mortuaire, celui qui fut leur Président.
Des voix plus autorisées que la mienne ont dit la place que M. Henry Gérard tenait dans la cité, place considérable et dont votre nombreuse assistance permet de mesurer toute l'étendue.
Je me bornerai, quant à moi, à évoquer le lettré, l'ami des livres, que fut toute sa vie notre regretté concitoyen.
M. Henry Gérard s'était voué à l'enseignement, mais il entendait ce mot dans le sens le plus large. Il se rappelait notamment la phrase de son illustre compatriote Jules Ferry: "On peut tout faire pour l'école, pour le lycée, pour l'Université. Si, après, il n'y a pas de Bibliothèque, on n'aura rien fait".
Aussi le même dévouement qu'il apportait au Collège le témoignait-il à la Bibliothèque municipale et à la Société de lecture. Comme adjoint au Maire chargé de l'instruction publique d'abord, puis comme président du Comité d'achat et d'inspection de la Bibliothèque municipale, il eut souvent à me guider de ses conseils, et je trouvai toujours en lui une autorité souriante, une science qui se parait de bonhomie.
Ses avis étaient très écoutés des membres du Comité, et de nombreux ouvrages sont entrés à la Société de lecture comme à la Bibliothèque, sur son unique recommandation.
Combien de nos concitoyens lui ont dû ainsi de goûter les joies d'un roman spirituel ou d'une élégante critique !
M. Gérard n'était pas bibliophile au sens ordinaire du mot: il aimait les livres pour leur contenu, et les livres lui ont tenu compagnie jusqu'à sa dernière heure puisque, la nuit même de sa mort, il trompait encore ses insomnies par la lecture.
On ne s'étonnera pas que la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne l'ait nommé d'emblée membre titulaire le 15 mars 1903, et qu'elle lui ait aussitôt confié le rapport sur le concours de poésie. Il devait le conserver six ans durant.
Cette fidélité nous renseigne sur ses goûts: il aimait parler des poètes, et, comme tout auteur, sans le savoir, c'était lui-même qu'il confessait.
J'ai relu, ces derniers jours, tous ses rapports avec le sentiment de piété que vous devinez, et il me semblait que c'était une dernière visite que je lui faisais et qu'il m'entretenait avec sa finesse malicieuse. On retrouve là tout le charme de sa conversation, abondamment nourrie des classiques. 
Dire qu'il avait un esprit cultivé, c'est trop peu. Il était de ces "honnêtes gens", pour reprendre un mot du XVIIIe siècle, qui mettent à profit les loisirs de la province pour butiner dans les livres et faire leur miel des meilleures pensées qu'ils rencontrent.
Son érudition n'avait rien de morose, rien de pédantesque. Sa prodigieuse mémoire retenait de préférence les phrases ingénieuses, délicates, celles qui s'apparentaient à sa propre nature. Il préférait la grâce à la force. C'était un gourmet de l'esprit.
Outre ses rapports sur les concours de poésie, M. Henry Gérard donna à la Société Académique plusieurs études: Sur un définition du romantisme, en 1906; Simples causeries sur la nature, en 1907; La Querelle de Crébillon et de la Société littéraire de Châlons vers 1721, en1911; et tout dernièrement Le Régiment de la Calotte, étude dont il a revu les pages, la veille même de sa mort, pour les remettre à notre secrétaire aux fins d'impression.
Dans tous ces travaux on retrouve les mêmes qualités, le même souci du bien dire (l'incorrection d'une phrase le choquait autant que celle d'un geste), le même goût affiné, la même tendance à moraliser qui se voilait d'ironie.
Nommé Président de la Société Académique en 1914, il devait le rester jusqu'en 1921, et ceux qui ont eu le plaisir d'entendre ses discours sur Les devoirs présents et la vieillesse des choses et des personnes  ne les ont certainement pas oubliés.
Devant la tombe de M. Beuve, le 17 août 1920, M. Henry Gérard proclamait: " Nous ne mourons jamais tout entier. Nous laissons derrière nous le souvenir de nos oeuvres, de nos actions, de nos exemples."
Et c'est pourquoi, M. Gérard, je ne vous dis pas adieu, car votre souvenir demeurera parmi nous, et, pour qu'il ne s'estompe pas, nous n'aurons qu'à relire ces pages que concervent les Mémoires de notre Société et à travers lesquelles transparaissent votre regard et votre sourire.
Puisse cette présence immatérielle adoucir la douleur de celles qui vous pleurent et que je prie respectueusement d'agréer les vives condoléances des membres de nos Sociétés.
Deux discours d'Henri Vendel qui nous démontrent, si c'était nécessaire, la grande place qu'il occupait à Châlons-sur-Marne, mais aussi dans sa région champenoise. 

Henri Vendel: Compagnie des Tonneliers-Gourmets de Châlons-sur-Marne

N°216 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à215)

Encore un texte des "Mémoires de la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts du département de la Marne" écrit par Henri Vendel, membre titulaire de la dite société. Titre démontrant la complète intégration de l'auteur dans cette région de la Champagne.
Dans l'historique qu'il a consacré à la corporation des tonneliers de Châlons, Grignon déplore que les archives de cette communauté n'aient point été conservées. "Ses registres de comptes, de délibérations ou conclusions, ses statuts même, ont disparu", dit-il .
Nous sommes heureux de vous présenter ce soir une épave échappée au naufrage.
A vrai dire, elle ne provient pas de l'ancienne corporation des tonneliers qui fut abolie par la loi du 15 février 1791, mais de la compagnie des tonneliers-gourmets, fondée en cette ville le 22 avril 1802.
C'est un registre contenant les actes et règlements de cette société depuis floréal jusqu'au 30 octobre 1830, c'est-à-dire pendant presque toute la durée de la compagnie. Je dois à l'obligeance de son propriétaire, M. Roger Godart, d'en avoir la communication.
Il débute par un règlement dont vous me permettrez de vous donner lecture:
REGLEMENT
Art 1er - Que la garde du vin étant sur la place sera composée de trois hommes d'entre nous qui surveilleront tout le jour et la nuit à la sûreté du vin, et la dite garde ne pourra jamais être moins de deux hommes.
Art 2 - Ceux qui seront chargés de cette garde demeureront responsables des inconvénients qui pourraient arriver audit vin.
Art 3 - A l'avenir les Tonneliers-Gourmets qui viendront remplacer ceux actuels seront tenus de payer entre les mains de la dite compagnie la somme de vingt-quatre francs pour indemnité des dépenses faites tant pour le bail fait avec la commune que pour l'entretien de la Baraque, impression, affiches, qu'autres frais et dépenses inévitables, à l'exception et réserve que les fils de maîtres-tonneliers ne payeront que douze francs.
Art 4 - Lorsqu'il y aura lieu d'assembler la Compagnie, chaque membre y sera invité par un d'eux qui sera choisi parmi eux pour cet effet et qui pourra être changé au gré de la compagnie.
Art 5 - Nul ne pourra se soustraire aux Assemblées qu'en payant dix sols à la compagnie si ce n'est pour cause de maladie ou qu'il soit en campagne, ou il sera expulsé du corps et le choix sera fait d'un autre pour le remplacer.
Art 6 - Il sera nommé deux membres d'entre eux pour recevoir les droits portés par le règlement de police. Un d'eux sera chargé de la recette et tous les deux la signeront jour par jour, et surveilleront à tout ce qui peut se payer et en rendront compte à la compagnie.
Art 7 -  Aucun vaisseau contenant du vin ne pourra être enlevé de dessus la place qu'il ne soit revêtu d'une marque distinctive d'un desdits gourmets.
Art 8 - Tous les membres composant la dite compagnie se prêteront mutuellement aide et secours pour l'exécution du présent règlement et dans ce qui pourrait survenir à la suite.
Art 9 - On ne laissera enlever aucune pièce de vin après le soleil couché qu'il n'y ait au moins un des membres qui en soit prévenu.
Art 10 - La location du déchargeage tant foir que hors foir se payera comptant aussitôt l'adjudication faite.
Art 11 - Pour le premier remplacement qui sera fait à l'avenir, le choix sera pris parmi un des fils des maîtres tonneliers que la compagnie jugera à propos.
&
Les articles de ce règlement nous donne la raison d'être de cette compagnie. Il ne s'agit pas seulement, comme le croyait Grignon, de "ce sentiment qui porte les hommes de même profession ... à se grouper et à s'unir" pour célébrer la fête de leur confrérie au jour accoutumé.
Les tonneliers-gourmets avaient d'autres soucis. Ils étaient "locataires de la place dite grande Etape pour le dépôt des vins qui arrivent tous les jours en cette ville sans destination", et ils se préoccupaient surtout de veiller "à la sûreté du vin".
Nous avons donc là une société très différente de l'actuelle confrérie des tonneliers et très différente aussi de l'antique corporation. Elle se rapprocherait plutôt d'un syndicat patronal de marchands de vin.
Ainsi s'explique le nom de tonneliers-gourmets que prennent les membres de la compagnie. "Un gourmet, a dit Voltaire, est celui qui discernera le mélange de deux vins". Les tonneliers - gourmets entendent se distinguer d'un côté des fabricants de tonnellerie, et de l'autre des simples ouvriers. Tous les membres de la compagnie sont en effet des maîtres tonneliers, et le règlement spécifie que, s'ils viennent à mourir, ils seront remplacés par leurs fils.
Le registre nous les montre s'occupant surtout du chargement et déchargement des vins sur le champ de foire, c'est-à-dire rue Grande-Etape. Il y avait alors quatre foires aux vins: celle de la Saint-Martin, la plus importante; celle des Brandons, le premier samedi de carême, celle de la Pentecôte et celle de Saint-Remi.
Le vin provenait principalement des localités suivantes: Damery, Oeuilly, Mareuil, Vauciennes, Boursault, Saint-Martin-d'Ablois, Athis, Venteuil, Chouilly, Mardeuil, Moussy, Cuis et Vinetz.
A chaque foire, le chargement et déchargement du vin était mis en adjudication parmi les sociétaires. Le 19 pluviôse an XII, le déchargeage des foires des Brandons, Pentecôte et Saint-Remi, et le hors foire, à commencer  le jour de la foire des Brandons et finir la veille de la foire suivante, est loué au citoyen Cosson, moyennant le prix de cinquante-cinq francs. En 1830, cette somme de cinquante-cinq francs n'assure que le déchargement de la foire des Brandons. Il y a donc eu une légère augmentation du prix de location.
A son tour la compagnie payait à la ville une redevance qui était de 50 francs en 1802, et se montait à 150 francs en 1823.
Un tour de garde était établi entre les confrères, qui, en 1806, devaient monter la garde 3 par 3 pendant 24 heures consécutives et étaient tenus pour responsables des délits qui pouvaient se commettre pendant  leur veille. Peut-être eux-mêmes n'étaient-ils pas exempts de tout reproche, car on leur recommande de ne pas s'enivrer, au moins pendant leur surveillance.
Ils étaient tenus d'assister aux assemblées dela compagnie sous peine d'une amende de 50 centimes .
La fête de la compagnie était la Fête-Dieu. Ses membres offraient alors le pain bénit, et quatre d'entre eux portaient le dais.
Tels sont les renseignements qu'il m'a été possible d'extraire de ce registre. Tous succincts qu'ils soient, ils projettent cependant quelques lueurs sur un point de l'histoire économique de notre ville et méritaient sans doute, à ce titre, d'être recueillis.
Ainsi Henri Vendel s'intéresse, participe à toutes les classes de la Société champenoise....

 


Henri Vendel: Vie et travaux de M. l'abbé Lallement.

N°215 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à214)

Toujours au nom de la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts du département de la Marne, dont il était membre titulaire résidant, Henri Vendel devait être la "personne désignée" pour toute sorte de discours...... En voici un, de nouveau ...
A notre dernière séance de quinzaine, Monsieur le Président, vous apprenant la triste nouvelle, prononçait un éloge, émouvant parce qu'ému, de M. l'abbé Lallement. Permettez-moi aujourd'hui, non pas de vous rappeler les mérites de notre confrère, car vous ne les avez pas oubliés, mais de rendre à sa mémoire un nouvel hommage.
Lavie de François-Louis Lallement tient en deux mots: science et dévouement.
Né le 29 octobre 1871, à Pont-à-Mousson, il termina ses études au Grand Séminaire de Châlons, dirigé alors par des Lazaristes. Mais peut-on appliquer cette expression: "terminer ses études" à celui qui étudia toute sa vie?
Avant même d'être ordonné prêtre, il enseignait. D'abord professeur de 8e puis de 6eA, au Collège Saint-Etienne, il fut nommé curé de Moiremont le 1er août 1897.
Combien de jeunes étudiants, ainsi exilés, loin des cours et des bibliothèques, dans un village sans ressources intellectuelles, auraient renoncé à apprendre! Lui, c'est dans cette paroisse qu'il étudia le plus, c'est là qu'il découvrit sa seconde vocation.
Il n'avait plus de livres à sa disposition, mais il avait des âmes. Il se pencha vers elles, ils les observa, il les scruta; au sens le plus large du mot, il les confessa.
C'était avant la guerre, quand la terre heureuse gardait sa bonne odeur d'autrefois. Les coutumes, affaiblies par l'âge, mais toujours vivantes, avaient le charme des vieillards par les soleils d'automne.
Pieusement, connaissant leur fragilité, l'abbé Lallement les recueillit. Douze ans durant, de 1897 à 1909, il visita les chaumières, ici écoutant un conte, là glanant quelques proverbes, rappelant les chansons aux lèvres des vieilles, ressuscitant les jeux oubliés, chargé tantôt d'une bassinoire et tantôt d'un pot d'étain, toujours bien accueilli parce qu'il patoisait et surtout parce qu'il était simple et brave homme, d'une admirable bonté qui touchait le coeur plus sûrement qu'un sermon.
Le 21 août 1909, il fut nommé curé de Recy. C'était, avec la proximité de Châlons, la possibilité d'utiliser les matériaux patiemment amassés.
Depuis longtemps déjà votre Société avait découvert les mérites de ce chercheur. Vous l'aviez accueilli parmi vous, en qualité de membre correspondant, le 1er février 1906, et, le 11 novembre de la même année, vous décerniez une médaille d'argent à son étude sur "Les Toignel d'Epense et leur chapelle dans l'église de Sainte-Menehould". "Intéressante, bien conçue et bien ordonnée, témoignant de recherches étendues et avisées", au dire du rapporteur, M. Jacques Laurent, elle eut l'honneur de figurer dans vos Mémoires.
Vous publiâtes de même, en 1908, les "Lettres inédites de Louis XIV et Mazarin au sieur Jean de Seyron" que M. l'abbé Lallement avait découvertes dans un cadre ancien.
Toutefois, plus que ces études d'histoire proprement dite, ce qui devait établir la renommée de M. l'abbé Lallement, ce furent ses travaux sur le folklore argonnais. Déjà en 1903, l'Académie nationale de Reims, dont il est membre correspondant , couronnait un mémoire sur "les coutumes, usages et antiques traditions de Moiremont", que devaient compléter, en 1905, une "Monographie du village de Moiremont" et, en 1909, "les Pages militaires de Moiremont depuis l'époque révolutionnaire jusqu'à nos jours."
Vous-mêmes, en 1909, honoriez d'une médaille d'or, votre plus haute récompense, les "Echos rustiques de l'Argonne", publiés l'année suivante sous les auspices de votre Société. Ce recueil forme un chansonnier où sont notés non-seulement les paroles, mais les airs mêmes sur lesquels se chantaient complaintes, noëls et trimazots.
Il fut suivi, en 1910 et 1912, des Vieux contes argonnais écrits dans un patois savoureux et qui parurent sous la signature du Cousi Laouis de Mouürmont.
Nous les retrouvons d'ailleurs, accrus de quelques autres, dans les "Contes rustiques et folklore de l'Argonne", volume que préface Paul Sébillot, et qui est consacré aux coutumes, au blason populaire et au patois de cette région champenoise.
La guerre interrompit les travaux de M. l'abbé Lallement, sans le distraire de ce qui était devenu sa passion. C'est en 1921, en effet, qu'il publia son ouvrage "Folklore et vieux souvenirs d'Argonne" qui devait lui valoir, avec une nouvelle médaille d'or de votre Société, le prix Furtadeau, décerné par l'Académie Française.
Ces trois livres, "Echos rustiques de l'Argonne", "Contes rustiques et folklore de l'Argonne", "Folklore et vieux souvenirs d'Argonne", constituent l'oeuvre capitale de notre confrère. Qui ne les a pas lus, ne peut se vanter de connaître l'Argonne d'autrefois. Qui les ouvre pénètre dans l'intimité de n os provinces à la suite du meilleur et du plus sûr des guides.
M. l'abbé Lallement devait encore publier deux études consacrées l'une à "Jean-Baptiste Champion, confesseur de la foi, et à la paroisse de Valmy, 1785-1842", l'autre aux séminaires et aux évêques de ce diocèse au lendemain de la Révolution.
La Revue de Champagne et de Brie a également reproduit le texte de deux conférences faites, l'une à la Bibliothèque municipale de Châlons, l'autre à l'Hôtel de ville, lors de l'exposition des Beaux-Arts, en octobre 1926. La première nous présente l'Argonnais et sa maison, la seconde est un guide du petit musée ethnographique que notre ville doit à la générosité de M. l'abbé Lallement.
Le 3 juillet 1911, en effet, notre regretté confrère avait fait don au Musée municipal de sa collection composée alors d'environ 400 objets tels que vêtements, chaussures, faïences, bijoux,  ustensiles de ménage, etc... Nommé conservateur honoraire du Musée, il compléta cette collection en 1926 par le don d'une centaine de pièces nouvelles, regrettant que le manque de place mît une limite à sa générosité.
Tant de mérites, tant d'études, n'avaient pu, malgré la bonhomie de l'auteur, passer complètement inaperçus. Sur la proposition de votre président, M. Guillemot, qui l'encouragea dans ses recherches et auquel il se plut toujours à rendre hommage, il avait été nommé officier d'Académie en 1910; il fut promu officier de l'Instruction publique en 1924.
Lorsque, de nouveau professeur à l'Institution Saint-Etienne le 1er mars 1919, il redevint châlonnais, vous fûtes heureux de le nommer membre titulaire dès qu'une vacance se produisit.
Pendant la guerre, son dévouement au chevet des malades lui valut la médaille des épidémies, mais sans doute est-ce là aussi qu'il contracta le mal qui devait l'emporter.
M. l'abbé Lallement, qui s'était toujours dépensé sans compter, depuis quelques mois sentait ses forces diminuer. Déjà plusieurs fois, suivant l'expression de notre confrère, M. l'abbé Prieur, la mort lui avait donné des "avertissements très sévères"". Il n'en continua pas moins à porter un faix devenu trop lourd pour ses épaules, et sous lequel il devait bientôt succomber.
Frappé le 17 mars, à l'hôpital militaire dont il était aumônier auxiliaire, il y expirait le 2 mai 1927.
Son souvenir, du moins, ne périra pas. Tous ceux qui ont eu le plaisir d'entendre le conférencier, de lire l'auteur, d'écouter le prêtre accueillant à tous, quelle que fût leur croyance, tous ceux qui l'ont connu ne l'oublieront pas. Et quand ils ne seront plus eux-mêmes que poussière, on continuera de feuilleter les livres de notre confrère. Les érudits les consulteront, et les artistes, et tous ceux que charment les contes du passé.
Ces études qu'il a tant aimées, cette science qu'il a tant servie, prolongeront parmi la postérité le goût et la pensée de M. l'abbé Lallement.
Discours toujours aussi disert de notre poète, romancier... d'autant plus qu'il parle d'un confrère, aimant les recherches historiques pour les fixer à jamais dans des livres....

 
  

mercredi 21 novembre 2012

Rapport sur un concours d'histoire par Henri Vendel, membre titulaire résidant.

N °214 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144..187à192.194à213)

Henri Vendel, nommé Conservateur de la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne en 1921, s'intégra rapidement à cette région en entrant dans de nombreuses associations. Ainsi ce sera dans la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts de ce département de la Marne. Il aura l'occasion d'y faire de nombreux rapports, ici au sujet du Concours d'Histoire en 1923:
Mesdames, Messieurs,
J'ai à vous rendre compte cette année de deux travaux historiques.
Le premier nous expose 'l'état de l'instruction primaire dans le département de la Marne sous la Restauration."
Le sujet est intéressant, il est même d'actualité en ces jours où l'on parle de supprimer de nombreux postes d'instituteurs. L'époque étudiée est à une distance, ni trop proche ni trop éloignée de la nôtre, fort convenable pour comparer et mesurer le chemin parcouru. C'est l'un des charmes de l'histoire qu'elle permette à l'homme de s'arrêter quelques instants dans sa course et de regarder en arrière. Dominant les faits comme d'un haut plateau, il découvre l'harmonie de la vallée, il voit d'où il vient et il comprend que sa marche a un sens.
Essayons, voulez-vous, de goûter ce plaisir et, puisque notre auteur nous y invite, faisons un bond de cent ans en arrière. Les écoliers d'alors, nous les avons connus: c'étaient nos grands-pères ou nos arrière-grands-pères. Vous souvient-il d'avoir appris le b-a-ba sur leurs genoux? Ils ne manquaient pas alors d'évoquer leurs anciens maîtres, et, songeant à nos écoles modernes, de dire, branlant le chef: " De notre temps, nous n'étions pas gâtés comme vous."
Accompagnons-les donc, par la pensée, sur le chemin de l'école, comme ils nous y accompagnèrent parfois nous-mêmes.
S'ils habitent la ville, nous serons vite rendus, qu'ils aillent chez les frères des Ecoles chrétiennes, ou bien à l'Ecole laïque d'enseignement mutuel. Mais s'ils sont campagnards, il nous faudra parcourir un long et mauvais chemin, et même, s'ils dépendent du canton de Saint-Remy-en-Bouzemont, nous risquons de rester embourbés, car dans cette région marécageuse, dès la première pluie, un cheval a bien de la peine à tirer une voiture vide.
Nos écoliers souffrent d'autant plus du mauvais chemin qu'ils vont à l'école en hiver. Aux beaux jours, il faut aider les parents aux champs, conduire l'âne et charrier les engrais de la vigne, garder les volailles, récolter les faînes et les glands. C'est une besogne dont on est plus fier que d'apprendre à lire et qui ennuie moins. Les parents souvent illettrés, trouvent plus avantageux d'utiliser les jeunes forces de leurs enfants que de payer pour eux un droit d'écolage. Aussi, dans certaines communes comme Faux-Fresnay, la classe ne dure-t-elle que trois mois, et, parmi ceux qui la fréquentent, beaucoup sont des bambins de trois ou quatre ans. Trop jeunes pour apprendre, ils dissipent leurs aînés. Il n'est donc pas étonnant qu'en 1833 un inspecteur propose d'interdire l'entrée de l'école à tout enfant qui n'aurait pas atteint sa neuvième année. " Avant cet âge, dit-il, les enfants n'ont besoin que de la surveillance d'une bonne qui leur enseignerait le Pater et l'Ave, en les leur répétant tous les jours plusieurs fois."
Cependant, clopinant, pataugeant, et courant pour se réchauffer, les enfants arrivent au village. Ne nous attendons pas à trouver une belle maison d'école, percée de larges baies, comme tant de nos communes rurales s'enorgueillissent aujourd'hui d'en posséder. Rarement alors des bâtiments spéciaux sont affectés à l'instruction primaire. L'instituteur fait sa classe dans sa maison, ou bien à la mairie, ou bien au presbytère, dans une grange, parfois même dans une cave.
Les enfants s'entassent, et comme, au dire d'un inspecteur, ils sont presque tous malpropres, une odeur insupportable emplit la pièce, accrue encore par les chaufferettes ou "couvets" qu'ils apportent.
Aussi n'est-il pas rare de voir, dans une matinée, cinq ou six d'entre eux tomber à demi-asphyxiés.
Tant bien que mal, ils apprennent à lire, écrire et compter, à prier aussi, car l'instruction religieuse est à la base de l'enseignement sous la Restauration. Dans les écoles où l'instituteur est pourvu d'un brevet du premier degré, on ajoute au programme le dessin, la géographie, la grammaire, la géométrie et l'arpentage.
Les écoliers généralement n'ont pas d'abécédaire, ils apprennent à lire dans le premier livre venu, celui que possèdent les parents, parfois un almanach de deux sous, parfois même un recueil de contes grivois. On ne tient guère compte de la liste dressée par la Commission de l'Instruction publique en 1517 et qui recommande des livres de prières, des syllabaires tels que la "quadrille des enfants ou système nouveau de lecture", "le catéchisme historique de l'abbé Fleury", "l'arithmétique des demoiselles" (dont l'auteur avait sans doute observé que les dames, qu'il s'agisse d'années ou de toilettes, comptent rarement comme les hommes), " les éléments théoriques et pratiques du calcul des changent étrangers", que l'on devrait bien rééditer aujourd'hui, "la grammaire de Lhomond", etc.
Les punitions ne manquent pas: retenue, mise à genoux, tâche extraordinaire, coups de verge, férule, martinet. Les récompenses, moins nombreuses, consistent en bons points, images, livres de prix.
Les maîtres n'en savent pas beaucoup plus long que leurs élèves. D'après l'ordonnance royale du 29 février 1810, il faut, pour enseigner, être pourvu d'un certificat de bonne conduite, décerné par le curé et le maire de la commune où l'on habite et obtenir un brevet de capacité. Mais ce brevet, qui comporte trois degrés, n'exige pas de profondes connaissances. Il suffit, pour le degré inférieur, de savoir lire, écrire et chiffrer. Naturellement ces instituteurs sont peu payés. Leur traitement annuel n'atteint pas toujours deux cents francs. Chaque élève paye un droit d'écolage qui varie de 0 fr. 20 à 0 fr. 75 par mois, ceux qui savent écrire payent plus que les autres. L'instituteur a en outre le droit de faire des quêtes; on lui donne du vin, du bois, des oeufs. Malgré cela, ses émoluments sont si faibles que, pour soutenir sa famille, il a souvent recours à un autre métier: vigneron, maçon, tonnelier; sa femme tient une épicerie.
D'ailleurs, aux termes de ses conventions avec les municipalités, il ne doit pas se contenter de faire l'école. Il est aussi secrétaire de mairie, et même secrétaire des habitants dont il rédige la correspondance; il publie les annonces, arpente les champs, règle l'horloge, chante à l'église, porte l'eau bénite tous les dimanches dans les maisons du village, assiste le curé aux baptêmes et inhumations, l'accompagne quand il administre les sacrements aux malades, sonne l'Angelus, balaye l'église, enseigne le catéchisme aux enfants.
L'instituteur est donc alors l'auxiliaire du curé, un peu son vicaire, et cela ne veut pas dire forcément son ami. Déjà souvent, ils se dressent l'un contre l'autre, et leurs rivalités prennent parfois des formes singulières. C'est ainsi que le baron de Jessaint doit rappeler à l'ordre plusieurs instituteurs qui empiètent sur les attributions de leurs curés, et, non contents de chanter la messe, revêtent les habits sacerdotaux, processionnent, font des exhumations et donnent aux ouailles leur bénédiction.
Comment la politique ne songerait-elle pas à exploiter ces rivalités? Les libéraux devinent l'appui qu'ils pourront trouver dans les instituteurs. Aussi, pour parer au danger, en avril 1824, après le triomphe de la droite aux élections, une ordonnance royale confie-t-elle aux évêques la haute surveillance des écoles. Ceux-ci, par l'intermédiaire de comités, s'assurent que les maîtres bien le catéchisme, pratiquent leurs devoirs de chrétien, font bon ménage avec leurs épouses, écoutent les avis de leurs curés. Le comité doit aussi veiller à ce que garçons et filles ne soient pas réunis pour l'enseignement. Dans les campagnes où l'on ne possède qu'un seul instituteur, il doit faire classe aux garçons le matin, le soir aux filles.
L'instruction de celles-ci paraît d'ailleurs un luxe bien inutile, et souvent elles doivent se contenter de ce que leurs mères peuvent leur apprendre. L'évêque recommande toutefois d'établir dans les paroisses des écoles tenues par des soeurs institutrices.
Voici, tracé à grands traits, d'après notre auteur, le tableau de l'instruction primaire dans les campagnes de la Marne, sous la Restauration.
Les villes sont un peu plus favorisées.
A Reims, Sainte-Menehould, Vitry-le-François,  les frères des écoles chrétiennes instruisent de nombreux élèves, mais ce n'est qu'en 1833 qu'ils ouvriront à Châlons leur première école (et non en 1836 comme le dit notre auteur). Comme ils doivent, d'après leur règlement, toujours s'établir par trois, les communes rurales ne peuvent compter sur eux.
A Châlons, en 1833, une école gratuite d'enseignement mutuel, établie dans les bâtiments du collège, peut recevoir deux cents élèves. Un instituteur est attaché à chacune des cinq paroisses, et la ville compte en outre cinq écoles privées. Elle inscrit à ses dépenses 2.350 francs pour l'école d'endeignement mutuel, 975 francs pour les Dames de Saint-Vincent de Paul, 500 francs comme indemnités de logement aux instituteurs attachés aux cinq paroisses, soit au total 3.825 francs par an.
Des communautés religieuses se chargent de l'enseignement des jeunes filles: les Dames de la Congrégation Notre-Dame, établies dans l'ancien couvent des Récollets, instruisent gratuitement 300 filles; les Dames de Saint-Vincent de Paul, 120; les soeurs de la Providence, rue du Collège, une centaine.
Il est regrettable que notre auteur ne se soit pas étendu davantage sur l'état de l'instruction primaire dans les villes. Alors que ses renseignements sur les campagnes sont abondants et précis, il ne nous dit presque rien de la fréquentation scolaire urbaine, ni des rivalités entre les frères de la doctrine chrétienne qui tenaient pour l'enseignement simultané et les laïcs qui préconisaient l'enseignement mutuel. Et cette lacune s'explique quand on remarque que notre auteur, qui a puisé abondamment aux sources des Archives départementales, a négligé complètement les archives municipales.
J'aurais d'autres reproches à lui adresser, celui notamment de n'avoir pas rattaché ce fragment d'histoire locale à l'histoire nationales. L'auteur cite des circulaires ministérielles, mais on en comprendrait mieux l'esprit s'ilavait soin de nous rappeler que celle de 1817 encourageant l'enseignement muuel émanait d'un royaliste modéré, M. Decazes, qui pratiquait une politique de gauche; tandis que l'ordonnance royale du 8 avril 1824 s'explique par le triomphe aux élections récentes des ultra-royalites qui voulaient confier au clergé l'éducation de la jeunesse.
Et je lui reprocherais encore de ne nous apporter que des matériaux, au lieu de construire une oeuvre et de conclure, si je ne savais que ce travail fut publié en 1914 par le Comité des travaux historiques et scientifiques, section d'histoire moderne et d'histoire contemporaine, dans sa collection de " Notices, inventaires et documents", avec ce sous-titre qui lui convient parfaitement "Documents d'histoire locale publiés et analysés".
Nous avons donc affaire là, non pas à une étude historique, mais à une publication de documents. Ainsi compris, ce travail, quoique incomplet, est d'une grande valeur. Clair, précis, écrit dans une langue simple, sans prétention au style, comme il convient, il nous présente, classés avec méthode, de nombreux documents. Consulté par les historiens, il leur épargnera de longues recherches aux Archives départementales (et quand je songe à l'amabilité de notre confrère, M. Berland, je dois reconnaître qu'il les privera ainsi d'un plaisir). De telles oeuvres, d'apparence modeste, sont plus utiles à l'histoire que de brillantes dissertations. L'historien construit sur elles son texte, il les relègue en références au bas de la page, mais elles sont là comme les pierres de fondation, qu'on ne voit pas, et sans lesquelles l'édifice s'écroulerait. C'est pourquoi la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne décerne à l'auteur, M. Bideau, une médaille de vermeil.
Le second travail présenté au concours est une monographie de la commune de Thaas, canton de Fère-Champenoise. Je ne connais pas ce village et l'auteur me le fait vivement regretter. Que j'aimerais me promener aux bords de la Superbe qui "frôle Thaas de ses épaules humides "?
Je m'en voudrais de résumer en sec historien une oeuvre qu'anime et poétise à chaque page l'amour du sol natal.
L'auteur dit fort bien: "L'histoire du pays natal est plus facile à reconstituer que n'importe laquelle; ce coin de terre semble faire partie de nous-même, c'est la petite patrie; tout y est intéressant et vient droit au coeur". Mademoiselle Brulfer aime le passé de son village comme ses arbres et ses maisons: il fait partie du paysage. Aussi nous promène-t-elle dans les siècles écoulés comme à travers champs. Tantôt l'on s'assied sur des ruines et l'on rêve, tantôt l'on revient sur ses pas; on ne sait pas toujours bien où l'on va, mais c'est une promenade agréable et instructive.
Déjà l'an dernier son auteur nous présenta une monographie de Cheniers que la Société Académique honora d'une médaille d'argent. Je voudrais que l'exemple donné par Mademoiselle Brulfer fût suivi. Institutrice en retraite, elle emploie ses loisirs à écrire l'histoire des villages qui lui sont chers. C'est un travail fort utile. J'aimerais que chaque village possédât sa monographie que les écoliers consulteraient en classe. Il est bon d'apprendre l'histoire de France et celle du monde, mais je crois qu'on les comprendra jamais bien si l'on ne connaît d'abord l'histoire des choses qui nous entourent, que nous voyons chaque jour, qui nous sont familières, et parentes, si j'ose dire. On n'aurait garde d'oublier dans ces monographies l'histoire du village durant la guerre mondiale. On montrerait comment la vie de la commune fut affectée par la grande catastrophe; départ des mobilisés, réquisitions, passages d'émigrés, de troupes, de blessés, de prisonniers, et dans nos régions, occupation ennemie, bombardements, entraves à la circulation, pénurie de main-d'oeuvre, difficultés du ravitaillement. Toutes choses qui paraissent actuellement de peu d'intérêt parce qu'elles sont connues de tout le monde. Mais notées simplement, avec le seul souci de la vérité, ne pensez-vous pas qu'elles seraient pour nos descendants de précieux témoignages?
La Société Académique a tenu à récompenser le zèle de Mademoiselle Brulfer par un rappel de médaille d'argent.
Voilà un très long discours comme seuls les bons orateurs savent faire avec en première partie un Henri Vendel qui sait, semble-t-il, donner ses appréciations, les bonnes comme les plus médiocres et dans la deuxième petite partie nous avons un Henri Vendel qui nous rappelle le combattant qui a souffert.... Pourtant ici, en 1923, il était encore tout jeune...

 

lundi 19 novembre 2012

Henri Vendel et la Bibliothèque Circulante de la Marne.

N°213 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à212)

Texte de 1979 de Jackie Ebréard. Directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de la Marne...

AUX ORIGINES DE LA BIBLIOTHEQUE CIRCULANTE.
Le 26 mars 1929, une proposition de résolution déposée par Mario Roustan au Sénat invite le gouvernement à organiser dans toute la France des salles municipales de lecture publique. Cette proposition demande notamment la constitution d'une commission spéciale dans le but d'élaborer des projets. C'est ainsi qu'une commission d'étude, présidée par le sénateur Victor Bérard, se réunit de décembre 1929 à mars 1930 au Ministère de l'Instruction Publique.
A une époque où l'énorme majorité de la population française est encore rurale, il est naturel que ce travail de réflexion s'attache tout particulièrement au développement de la lecture à la campagne. Il propose notamment la création dans chaque commune "d'une bibliothèque publique formée pour partie d'un fonds permanent, pour l'autre partie d'un dépôt temporaire renouvelé par les soins d'un organisme départemental, l'instituteur étant tout désigné pour être le bibliothécaire communal", et qu'au niveau départemental soit créé un dépôt central rattaché à une bibliothèque municipale., ou à un établissement d'enseignement, avec pour mission de faire circuler les ouvrages. Ce dépôt central, pouvant éventuellement être pourvu de succursales, serait administré par un "Comité Départemental de la Lecture Publique" nommé par arrêté ministériel sur proposition du Préfet, président, et comprenant l'Inspecteur d'Académie, vice-président ainsi que 12 membres choisis "pour leur compétence". Sa gestion serait confiée à un membre du personnel des bibliothèques à un enseignant en activité ou en retraite ou à toute autre personnalité qualifiée, le financement étant assuré par une subvention de l'Etat, une contribution départementale, la participation des communes ainsi que des dons et legs.
Suite à ces travaux, le ministre de l'Instruction Publique demande aux préfets des départements de se concerter avec les inspecteurs d'Académie afin de définir au niveau local les modalités pratiques d'application de ces projets, ajoutant - sage précaution - qu'il ne saurait être question de mettre sur pied ce système à bref délai et que son application ne pourrait être que progressive.
L'inspecteur d'Académie de la Marne, après s'en être entretenu avec Just Berland, archiviste départemental et Henri Vendel, transmet le 9 février 1931 des propositions dont l'auteur est en fait Henri Vendel; on prévoit que le local, une simple salle, se trouverait à l'Ecole Normale d'Instituteurs, la Bibliothèque municipale de la rue d'Orfeuil étant déjà à l'étroit. Si l'o veut, d'autre part, que les 662 communes du département soient assurées de 10 volumes, c'est un minimum de 6500 ouvrages qui serait nécessaire, leur circulation étant assurée par des envois postaux, si possible en fran chise postale, et par des transports en autobus. La bibliothèque des chefs-lieux de canton devrait servir de relais entre les différentes communes et le dépôt central. Les premières dépenses s'élèveraient à 207.000 francs, dont 130.000 francs pour l'achat de livres, 52.000 pour la reliure et 25.000 pour l'aménagement de la salle.
Profitant de cette atmosphère favorable, Vendel entretient le Préfet, dès juillet 1930, d'un projet de bibliothèque circulante dans la Marne. Ce dernier lui demande de rédiger un rapport détaillé à soumettre au Conseil Général en mai 1931.
Vendel imagine alors une structure comprenant:
- une bibliothèque centrale à Châlons-sur-Marne;
- des " bibliothèques du 1er degré" à Reims, Epernay, Suzanne et Vitry-le-François;
- des "maisons de la culture" - aussi appelées "salles de lecture - maisons du terroir" - dans les localités de plus de 2000 habitants: Ay. Dizy-Magenta. Sainte-Menehould. Sermaize. Suippes. Vertus;
- des dépôts de livres dans chaque commune.
" La bibliothèque centrale fournirait aux bibliothèques du premier degré les livres non usuels. Elle servirait elle-même de bibliothèque du premier degré pour l'arrondissement de Châlons-sur-Marne.
Les bibliothèques du premier degré, dotées de bibliobus, dirigées par un bibliothécaire professionnel, approvisionneraient en livres, en disques (livres sonores) en films et gravures les communes du voisinage. Leur installation servirait de modèle aux maisons de la culture.
Celles-ci comprendraient essentiellement une salle de réunions, pourvue de quelques rayonnages, d'un phonographe, d'un appareil de T.S.F., d'une cabine de cinéma.
Des expositions y auraient lieu périodiquement, relatives tantôt au folklore, tantôt aux beaux-arts, en accord notamment avec la chalcographie du Louvre. On y donnerait aussi des conférences, des pièces de théâtre, etc....
Dans les communes moins importantes, ce dépôt de livres se ferait en principe à l'école ou à la Mairie"
Toutefois, conscient du coût d'un tel projet - trois millions approximativement la première année - Vendel souligne qu'il n'a de chances d'être mené à bien que si l'Etat prend à sa charge la majeure partie des frais.
Il soumet alors, en accord avec ses collègues de Reims, Mesdemoiselles Réville et Berna, quelque chose de plus modeste, pouvant être réalisé immédiatement et comprenant:
- un magasin central à Châlons, avec succursale à Reims, ces deux villes fournissant les locaux;
- un bibliobus pour tout le département;
- un bibliothécaire professionnel sachant conduire;
- un employé sachant conduire;
- un fonds de livres de 30.000 volumes.
" La direction de la bibliothèque circulante appartiendrait au bibliothécaire municipal de Châlons-sur-Marne qui serait responsable de son organisation. La succursale de Reims serait placée sous la direction d'un des bibliothécaires diplômés de Reims. De la sorte serait établie une liaison étroite avec les bibliothèques existantes qui prêteraient les livres d'études"
On pourrait desservir ainsi toutes les communes du département. Chiffrant approximativement les dépenses nécessaires dans l'immédiat, Vendel les répartit ainsi:
- à la charge de l'Etat:
      - bibliobus : 25.000 francs
    - participation à l'achat de livres:  200.000 francs, la participation de l'Etat représentant surtout une dépense une dépense de mise en route qui serait considérablement réduite les années suivantes;
- à la charge du département:
       - traitements du personnel: 50.000 francs;
       - essence, entretien du bibliobus : 50.000 francs; 
- à la charge des communes: participation à l'achat de livres: 240.000 francs.
Ce projet est, d'une part, double puisqu'il concerne d'abord les bibliothèques circulantes populaires, mais aussi le prêt d'ouvrages d'études des bibliothèques municipales par l'intermédiaire de la bibliothèque circulante. Pour Vendel d'autre part, une place de choix doit être réservée à ce que nous appelons aujourd'hui l'audiovisuel, et appel est fait aux moyens les plus modernes pour l'époque. Enfin, si l'Etat assure l'investissement, aidé en cela par les communes, le fonctionnement est à la charge du département. On le voit, à partir des travaux de la Commission pour la Lecture Publique, Henri Vendel élabore son propre schéma pour la Marne, essayant de convaincre Préfet et conseillers généraux.
Toutefois, comme souvent dans notre pays, les moyens ne sont pas à la hauteur des nobles ambitions proclamées et les effets différés de la crise de 1929 en France ne peuvent que retarder l'application de ce modèle. Paradoxalement, ce sont aussi les conséquences de la crise - en l'occurence les mesures prises pour remédier au chômage de l'édition - qui réactivent le projet quelques années plus tard. En core faut-il une volonté politique... et l'entregent du Conservateur de la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne pour que notre département soit choisi comme laboratoire afin d'y tenter la première expérience officielle française de lecture à la campagne.

LA CREATION DE LA BIBLIOTHEQUE CIRCULANTE
Dans le premier cabinet Léon Blum, le Sous-Secrétariat d'Etat aux Loisirs, création nouvelle et de durée éphémère, est confié à Léo Lagrange. Ce dernier décide, à la demande de son chef de cabinet Edouard Dolléans, président de l'Association pour le Développement de la Lecture Publique (A.D.L.P.) d'affecter un crédit au financement d'une expérience de bibliothèque circulante dans un département. Une autre enveloppe, accordée par le Ministère de l'Education, doit permettre l'acquisition d'ouvrages. C'est la Marne qui est choisie comme terrain d'expérience.
Les bibliothèques itinérantes ne sont certes pas un phénomène nouveau et déjà circulent de nombreux bibliobus à l'étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons. C'est d'ailleurs le "Comité Américain d'Aide aux Régions dévastées" qui lance en France, dans le Soissonnais, une véritable expérience après la Première Guerre Mondiale. Le bibliobus de la Marne ne surgit donc pas exnihilo et peut bénéficier d'exemples, en particulier celui du département voisin.
Plusieurs raisons "objectives" sont invoquées par Henri Vendel pour expliquer qu'on ait décidé d'implanter la première bibliothèque circulante publique dans la Marne:
"D'abord parce que la population est assez évoluée pour pouvoir s'intéresser aux livres. Aussi parce qu'elle est groupée, facile à desservir par de bonnes routes de plaine et que le chef-lieu se trouve au centre du département. Cette population est variée, de sorte que l'expérience porte sur les milieux différents: agricole, viticole et industriel. La proximité relative de Paris permettait de donner à l'expérience la publicité nécessaire pour qu'elle servît d'exemple au reste de la France. Enfin, on trouvait sur place le personnel technique nécessaire".
Dans une de ses notes manuscrites, Vendel avance comme raison supplémentaire le fait que les passions politiques ne sont pas très vives et qu'il n'est pas à craindre, comme dans l'Ouest, une opposition du clergé catholique.
Le premier argument semble une "politesse" aux habitants de notre département. Non certes, qu'on soit ici moins "arriéré" que dans d'autres régions. Rien n'indique, en tous cas, un niveau intellectuel et un appétit de savoir supérieurs, à une époque d'ailleurs où la population des zones tant agricoles que viticoles est loin d'être aussi prospère qu'aujourd'hui. Quant aux motifs géographiques, d'autres départements peuvent se prévaloir des mêmes avantages.
S'il est vrai enfin que l'opposition du clergé catholique, à l'expérience, n'est pas très vive et les accusations de diffuser de "mauvais" livres peu nombreuses, que le parrainage technique de la Bibliothèque municipale de Châlons pouvait être - et devint effectivement - capital, c'est la présence d'Henri Vendel qui explique que la Marne soit choisie: "Si M. Dolléans et moi avons fait ce qu'il fallait pour que le bibliobus aille à Châlons - et non ailleurs, ce qui aurait très bien pu arriver - c'est que nous pensions que vous étiez le plus qualifié, de par le caractère social de votre activité, pour le mener à bien. Vous êtes pour nous le bibliothécaire idéal" écrit à Henri Vendel le secrétaire général de l'A.D.L.P.
On a déjà vu, d'après les projets évoqués plus haut, la conception de la culture qu'avait Henri Vendel, dont pour lui, la bibliothèque devait être le pivot.
Ces idées se trouvent exprimées dans un mémoire qu'il présente, en tant que délégué de l'Association des Bibliothécaires Français, aux "Assises du Livre" qui se tiennent à Monaco en 1937, ainsi que dans le compte rendu qu'il fit un peu plus tard de ces assises devant les membres de l'Association.
Pour Henri Vendel, la lecture en milieu rural est le point cardinal de la démocratisation des bibliothèques: partant de la constatation que l'époque voit l'émergence des masses, il estime qu'il est nécessaire d'amener ces dernières aux livres, mais pas, biensûr, par le moyen des "sanctuaires d'études" que sont les bibliothèques d'érudition.
"Cette gangue recouvre du minerai. Il y a dans la masse des individus qui se détachent d'elle parce qu'ils auront heurté un livre, et ces individus viendront accroître l'élite des chercheurs (....), car l'esprit souffle où il veut (....). Savoir lire, ce n'est pas seulement savoir épeler et le véritable maître de lecture, ce n'est pas l'instituteur, ce doit être le bibliothécaire, du moins, une certaine catégorie de bibliothécaires, ceux que l'on pourrait appeler les bibliothécaires du premier degré. Ce sont eux qui doivent d'abord conduire le peuple au livre, pour lui apprendre à s'en servir et le lui faire aimer. C'est une tâche qui ne me paraît pas dépourvue de grandeur"
On est en train de passer de "la propriété individuelle d'un livre à sa propriété collective". Le problème est avant tout d'ordre économique,  la classe qui achetait le plus d'ouvrages, la petite bourgeoisie, ne pouvant plus le faire et les nouvelles couches émergeant à la culture n'ayant pas les moyens de se constituer de vastes bibliothèques. De là le rôle primordial des bibliothèques publiques.
Le bibliothécaire doit "quitter son cabinet pour rapprocher le livre du consommateur possible", notamment à l'aide de bibliobus. Evoquant devant les congressistes de Monaco le projet de bibliothèques circulantes de la Marne qui commence à prendre forme, Vendel déclare:
"J'ai l'espoir de porter chaque mois dans les villages une cargaison de livres. Mais nous ne nous contenterons pas de passer avec le bibliobus comme l'épicier ou le boucher, nous ferons de la propagande par le livre. C'est ainsi que, disposant d'un cinéma, je passerai, par exemple, quelques scènes des Misérables pour donner aux spectateurs le désir de connaître la suite, donc de venir au Livre. De même pour les ouvrages d'enseignement agricole, etc... Il y a dans les campagnes, une réserve considérable de lecteurs dont il suffit d'éveiller l'appétit intellectuel pour sauver l'édition".                                                                                                                            
En tant que représentant des bibliothécaires dans cette assemblée, Henri Vendel leur "inspire" alors des voeux, repris tels quels après discussion demandant:                                                         
- la reprise par le Parlement du projet Roustan, abandonné;                                                            
- le rétablissement d'une direction générale des bibliothèques, disposant d'inspecteurs régionaux et coordonnant les efforts dispersés;                                                                                   
- que les bibliothèques soient confiées à des professionnels formés en partie sur le terrain des bibliothèques publiques;                                                                                                                         
- qu'un crédit minimal par tête d'habitant à la charge des communes soit instauré en faveur de la lecture;                                                                                                                                                  
- la création d'une section jeunesse dans chaque bibliothèque municipale;                       
- la génération de l'expérience des bibliothèques circulantes, "considérant qu'il est dangereux de multiplier à l'excès les petites bibliothèques qui deviennent vite des cimetières de livres"
Outre la foi dans le bibliobus, on trouve là les idées-forces de la pensée de Vendel en matière de lecture publique. Il est à noter la volonté d'obliger les communes à participer au financement, idée récurrente encore à l'ordre du jour, ainsi que le souci que cette organisation des bibliothèques se fasse sous le contrôle de l'Etat.                                                      
Le Sous-Secrétariat d'Etat aux Loisirs affecte une somme de 35.000 francs à l'achat d'un bibliobus. Ce véhicule, confectionné selon les recommandations d'Henri Vendel, est livré en mai 1938.                                                                                                                        
Il s'agit d'une camionnette Peugeot 402 de 11 chevaux, permettant le transport de 1.000 volumes: 800 dans des caisses à l'intérieur et 200 dans des casiers extérieurs latéraux protégés par des panneaux, la partie supérieure vitrée relevable pouvant servir de toit, la partie inférieure plus petite et rabattable pouvant servir de table. A l'intérieur du véhicule sont prévus un casier pour un appareil de cinéma, un pour un phonographe, un pour les disques. On y trouve également un banc et une table-rabattant, de même que deux crochets pour suspendre un écran. Un avertisseur spécial permet d'autre part d'avertir les populations de l'arrivée de la camionnette.                                                                                                            
Le Sous-Secrétariat d'Etat aux Loisirs accorde également un crédit de 36.000 francs à l'A.D.L.P., destiné à la nouvelle bibliothèque circulante. Cette somme est employée à des dépenses d'équipement, notamment 14.000 francs pour des rayonnages, 5.600 francs pour l'achat de 300 caisses en bois blanc destinées au transport des volumes, 2.800 francs pour une machine à écrire et 8.500 francs, non dépensés dans l'immédiat, devant être utilisés à l'achat d'un appareil de projection.                                                                                    
Le Ministère de l'Education nationale, nouvelle appellation du Ministère de l'Instruction Publique, offre, grâce à l'intervention de Julien Cain, Administrateur de la Bibliothèque nationale, 8.500 francs pour l'achat, la reliure et le transport du premier fonds de livres. L'attribution de cette somme prélevée sur le "Crédit des grands travaux pour remédier au chomâge de l'édition", permet d'acquérir 8278 volumes et de les faire relier en toile brune.
Vendel est chargé de choisir les ouvrages en fonction de son goût personnel et de ce qu'il croit savoir de celui des populations rurales.                                                               
"J'achèterai surtout des romans, 75%, puis des ouvrages d'utilité pratique sur l'agriculture, le jardinage, l'économie domestique, la cuisine, la chasse, la pêche,etc ... Enfin un petit nombre d'ouvrages de vulgarisation scientifique ou artistique, les livres d'études proprement dits devant être fournis par la bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne.                       
Le financement du cinématographe toutefois, d'un coût total de 16.000 francs, doit être complété par d'autres subventions.                                                                    
Le Conseil Général s'engage à verser une subvention annuelle de 22.000 francs, ce qui est la condition du démarrage de l'expérience. Cette somme est destinée à couvrir les frais de personnel, autrement dit les rémunérations du bibliothécaire-chauffeur, de l'auxiliaire employé pendant les "mois d'hiver" c'est-à-dire les périodes pendant lesquelles ont lieu des tournées et les frais de déplacement.                                                                                              
Quant aux communes bénéficiaires du nouveau service, Vendel songe au départ à leur demander une cotisation de 25 centimes par habitant. Le Conseil Général, trouvant cette participation excessive, préfère qu'elle soit ramenée à 10 centimes par habitant et c'est finalement le barême adopté jusqu'en 1942. Vendel compte destiner les rentrées provenant des communes - qui s'élèvent à 8.000 francs en 1938 et 1939 - à couvrir les frais de route: essence, assurance, entretien du bibliobus.                                                                          
On a vu que dans les projets, la participation de l'Etat devait surtout servir à financer la mise en route. Et de fait, malgré les demandes réitérées du directeur du biblious, la participation de l'Etat n'acquiert aucun caractère de régularité. C'est ainsi qu'en 1939 le Ministère de l'Education Nationale verse 15.000 francs destinés à l'achat de livres et la même somme en 1940 destinée à financer l'acquisition du cinématographe; quant aux Loisirs, ils votent une deuxième tranche de crédits de 15.000 francs en 1939 ... et c'est tout.                                                          
La nouvelle bibliothèque dépend donc rapidement du financement des collectivités locales.
La Bibliothèque Circulante est de facto rattachée à la Bibliothèque municipale de Châlons, puisque c'est dans cette dernière que sont déposés les livres et qu'est garé le bibliobus. Elle est également dirigée par le Conservateur de la B.M, et c'est à la ville de Châlons qu'est versée la subvention annuelle du Conseil Général. Cependant, on ne peut considérer la bibliothèque comme municipale, puisqu'elle ne rend pas de services à la ville mais au département. Ainsi les assurances ne sont-elles pas souscrites au nom de la ville, mais à celui d'Henri Vendel, alors qu'aucun arrêté n'avait nommé ce dernier directeur.                                              
Dès le début, Vendel souhaite la régularisation de cette situation. Selon lui, la nomination du directeur de la Bibliothèque Circulante ne peut pas dépendre d'un arrêté du Maire ou du Préfet, ce qui pourrait amener l'affectation d'un non-professionnel. Il doit y avoir intervention de l'Etat et le bibliobus ne doit pas apparaître "comme une oeuvre privée subventionnée, mais comme le premier chaînon d'une organisation devant s'étendre à toute la France. Le bibliobus porte: Ministère de l'Eucation Nationale; Bibliothèques Publiques. C'est un programme".          
Un incident est, semble-t-il, révélateur à cet égard. A la fin de 1937, Henri Vendel écrit un article dans la presse locale pour faire état du projet de Bibliothèque Circulante qui doit voir le jour, retraçant les conditions de son lancement et faisant état de ses parrainages, notamment officiels: il s'agit avant tout de sensibiliser la population marnaise et les édiles. Le Secrétaire général de l'A.D.L.P., lui reproche à cette occasion de minimiser le rôle de l'Association. Il fait en même temps grief à Vendel de ne pas avoir consulté l'A.D.L.P. quand il s'est agi du choix des livres de la circulante, ainsi que d'avoir évité de discuter de l'organisation de cette expérience nouvelle: "Vous n'aurez eu pourtant qu'à prendre les bonnes idées et à laisser les mauvaises". Il est également regrettable poursuit-il "d'envoyer les factures au trésorier, comme si le rôle de l'Association était d'avoir en dépôt l'argent, et non pas, comme était l'intention du Sous-Secrétariat des Loisirs, que l'Association ait une participation financière et morale au bibliobus (....) Maintenant que le bibliobus est réalisé, vous aimeriez bien qu'on vous laisse tranquille, que vous vous arrangiez comme vous l'entendez (....) Vous ne vous êtes pas rendu compte que c'était l'Assocation qui a demandé que vous ayiez le bibliobus.                           
Dans la réponse à une lettre de Dolléans sur le même sujet, apparemment aussi sévère, Vendel essaie de se disculper, arguant du fait qu'"une tentative d'apparence officielle a plus de poids auprès de ces humbles magistrats (les maires) que si elle se réclame d'une association privée".    Cette escarmouche épistolaire, loin d'être simplement le fruit d'un malentendu o du heurt de deux tempéraments, est révélatrice, nous semble-t-il, de l'indépendance à l'égard de tout groupe de pression que s'efforçait de conserver Vendel dans la gestion de la bibliothèque circulante  et de la suspicion que, de ce fait, il entretenait chez les "mécènes".                                                        Henri Vendel préconise que la Bibliothèque Circulante soit rattachée officiellement à la B.M., l'intervention de l'Etat se justifiant par le fait que ce dernier possède les collections, le bibliobus, et participe à raison de 60% au traitement du bibliothécaire municipal. On lui répond que si une régularisation de la situation personnelle du directeur ne pose pas de problème - un arrêté ministériel pouvant charger Henri Vendel, conservateur de la B.M., de la direction de la Bibliothèque Circulante, après avis éventuellement du Préfet et du Maire de Châlons -, il est difficile de préciser le statut de l'établissement lui-même. Certes, le directeur peut être nommé par le Ministre après avis du Préfet, poursuit en substance l'argumentation. Mais sa fonction doit-elle être liée à celle du Conservateur de la B.M. ? Dans ce cas, un prochain conservateur pourrait refuser la charge de directeur de la Bibliothèque Circulante, qui ne comporte aucune indemnité supplémentaire. Il faudrait donc prévoir par arrêté une indemnité pour cette dernière responsabilité; or, il est difficile de codifier ce qui n'est qu'une expérience, comme il est prématuré de prendre un arrêté portant organisation d'une Bibliothèque Circulante dont les rapports avec les collectivités locales se dessinent empiriquement.                                                                                                                                      
Aucune régularisation du cas de la Bibliothèque Circulante ne semble donc devoir être trouvée dans l'immédiat. Toutefois, lors de sa session de mai 1939, le Conseil Général décide d'allouer à Vendel, en qualité de directeur de la Bibliothèque Circulante, une indemnité annuelle de 1.500 francs. Les évènements et le désordre qui en découle empêchent qu'une solution soit trouvée à ce problème de la part de l'Etat.                                                                                          
Le premier octobre 1943, la Bibliothèque Circulante devient départementale. Elles est administrée par un Conseil dont les membres sont nommés par le Préfet de la Marne et dont celui-ci est président de droit, la direction technique appartenant au conservateur de la B.M. de Châlons.                                                                                                                                                    
HEURS ET MALHEURS DE LA BIBLIOTHEQUE CIRCULANTE.                                          
Henri Vendel établit en fonction d'impératifs matériels (frais d'essence et nécessité pour le chauffeur du bibliobus de renter à Châlons tous les soirs) une liste de 158 communes, qu'il soumet à quelques Conseillers Généraux. Il choisit les centres à desservir de manière à toucher le plus grand nombre de cantons possible, 30 sur 33 : seuls les cantons d'Anglure, d'Esternay et de Saint-Remy-en-Bouzemont sont négligés à cause de leur éloignement.                                     
Des municipalités pressenties pour bénéficier du passage du bibliobus, une vingtaine de refus seulement sont essuyés, mais émanant notamment de la plupart des grosses bourgades sollicitées, telles Ay, Fismes, Montmirail, Pontfaverger, Sézanne, Sainte-Menehould, Witry-lès-Reims, etc, ... et c'est finalement 28 cantons qui sont desservis. Les raisons invoquées par les grosses communes qui refusent le passage du bibliobus peuvent être résumées ainsi : nous avons déjà assez de livres comme cela, d'autant plus que personne - ou presque - ne les lit. Ainsi le Conseil municipal d'Ay justifie-t-il son refus par cet argument captieux: " la ville d'Ay possède une bibliothèque bien garnie, cependant peu suivie, peut-être parce que trop peu souvent renouvelée (sic) et il (leconseil) a préféré consacrer les fonds qui serviraient à couvrir les frais de la bibliothèque à l'achat de quelques volumes". En revanche, les communes plus petites adhèrent plus volontiers. Les demandes affluent, si bien que 207 communes sont desservies en juin 1939, représentant une population d'un peu moins de 100.000 habitants. Devant la défection de certains gros centres, le nombre de tournées prévu, de 14 à l'origine, est ramené à 12. La tournée la plus courte mesure 71 kilomètres, la plus longue 160.                                        
A l'origine, Vendel avait prévu une tournée chaque mois en hiver et tous les deux mois en été, les travaux des champs rendant la lecture saisonnière à la campagne plus qu'en ville: "Elle (la lecture)  commence après les vendanges dans le vignoble, après la rentrée des betteraves dans la plaine. Elle dure jusqu'en avril, avec un ralentissement déjà très marqué en mars. L'été, il n'y a plus à lire que les enfants et les rentiers; encore ceux-ci préfèrent-ils leur jardin et leurs promenades".                                                                                                                                         
C'est finalement, du fait notamment   que la contribution demandée aux communes n'est que de 10 centimes par habitant, une périodicité de deux mois qui est adoptée dès le début.               
Lors des tournées auxquelles Vendel participe, le bibliothécaire-chauffeur dépose les caisses de livres toutes préparées chez une personne désignée par le Maire, la plupart du temps l'instituteur, généralement le plus apte à conseiller les lectures et le mieux placé pour toucher les parents grâce aux enfants. Le nombre de livres déposés dans les communes est de 7 pour 100 habitants, avec un minimum de 10: c'est évidemment très peu comparé aux standards actuels. Toutefois, les personnes avides de lecture et qui ne se satisfont pas du dépôt communal peuvent contacter des abonnements individuels, commandant leurs livres ou les choisissant sur les étagères du bibliobus. D'autre part, des coopératives scolaires peuvent souscrire des abonnements spéciaux pour livres d'enfants. Au bout de deux mois, on rend les livres au bibliobus et ils sont remplacés par d'autres, souvent commandés avant le passage. Les désiderata s'expriment au vu de listes d'ouvrages classés par thèmes fournies par la bibliothèque et ils sont satisfaits  dans la mesure des possibilités.                                                    
L'accueil est excellent presque partout, principalement dans le vignoble et la vallée de la Marne. 63.000 volumes sont prêtés d'octobre 1938 à fin avril 1939. Le succès est tel qu'on doit renoncer à développer le prêt individuel. Chaque tournée devant desservir en moyenne près d'une vingtaine de dépôts, il n'est plus possible de laisser venir trop de particuliers. En revanche, des bibliothèques scolaires de plus en plus nombreuses s'abonnent: 15 au début de 1939,53 à la fin de la même année et 114 en 1940. En octobre 1939, 215 communes sont desservies et on doit même refuser les adhésions d'une dizaine de villages trop éloignés du parcours du bibliobus.                                                                                                                          
A la satisfaction de Vendel, les livres du bibliobus sont lus par un large éventail social, même si, bien sûr, on trouve d'abord des gens possesseurs d'une certaine culture. Et de citer le boulanger de Possesse "qui, voyant passer le bibliobus, abandonna sa fornée et sauta sur son vélo pour courir après les livres", "le vieux vigneron d'Hautvillers qui disait en novembre dernier: Y a du bon vin et voilà des livres: quel bon hiver on va passer!" ou encore le mécano de Bouy et le camionneur de La Chaussée... Les goûts sont simples: "Les paysans ne lisent pas par snobisme, ils lisent sérieusement et ils aiment l'auteur avec lequel ils se sentent en sûreté, l'auteur à qui ils peuvent faire confiance, qui leur parle en ami, qui les amuse d'ailleurs ou les instruise"             
La préférence des lecteurs se porte vers les romans dans une proportion de 75%: vient en tête Dumas père, puis quelques autres romanciers du XIXe siècle.                                                          
"Dans l'ensemble, les paysans préfèrent les auteurs qui ont parlé d'eux: George Sand, Maupassant, Erckmann-Chatrian, certains Balzac, certains Zola aussi mais là il faut tenir compte du fait que le lecteur paysan est, en général, très pudibond. Cela peut surprendre. Lui qui n'a pas peur en paroles de termes grossiers, est très choqué lorsqu'il les rencontre dans un livre. Des ouvrages qui ne provoquent guère de réactions dans la ville, même provinciale, font scandale à la campagne".                                                                                                                        En dehors des romans, les livres d'art, de sociologie et de philosophie sont très peu prisés, alors que ces derniers ont plus de succès en ville. Il en est de même pour les livres d'hygiène et de puériculture: "on croirait que les paysans s'intéressent plus à la santé de leurs animaux qu'à celle de leurs enfants". En revanche, les livres d'utilité pratique (cuisine, agriculture, mécanique) ou d'histoire (de la Grande Guerre, notamment) ont beaucoup de succès.
Pour Vendel, les bons résultats enregistrés dès la mi-1939 ne représentent qu'un point de départ. Conformément aux ambitions exprimées à Monaco en 1937, il s'agit maintenant "tout en respectant le goût des lecteurs, de leur faire connaître des auteurs nouveaux qui peuvent les intéresser, e les amener à consulter des ouvrages de vulgarisation scientifique et des livres d'art, en un mot d'aiguiser leur curiosité et d'élever le niveau de leur culture", comme par exemple aux moyens d'expositions ambulantes, accompagnées de causeries et de projections. Les circonstances exceptionnelles que connaît bientôt notre pays contrecarrent malheureusement ces projets.                                                                                                                                              
Les tournées du bibliobus cessent le 14 juillet 1939 et reprennent dans la seconde quinzaine d'octobre avec un léger retard, le bibliothécaire-chauffeur ayant été mobilisé.                             
A la clientèle habituelle s'ajoute bientôt celle des réfugiés et des soldats. Pour ces derniers est créé un fonds spécial d'ouvrages à bon marché. Le prêt restant gratuit, ceux qui désirent lire doivent verser un cautionnement de 20 francs, précaution qui doit être prise pour éviter que les livres soient détériorés ou disparaissent: les collections ont eu, en effet, un peu à souffrir en septembre du fait du cantonnement de la troupe dans les mairies et dans les écoles alors que les institureurs étaient en vacances et 200 pertes sont à déplorer.                                                        
Vendel se propose alors non seulement de maintenir, mais de développer l'action de la Bibliothèque Circulante. C'est au début de 1940 qu'est mis en service  l'appareil de cinéma 16mm qui donne quelques séances appréciées des réfugiés. L'autorité militaire fournit même son accord pour que des projections aient lieu dans les Foyers du Soldat de la région. Toutefois, l'expérience tourne court, l'appareil étant bientôt évacué pour le mettre en lieu sûr et l'abandon du projet d'introduction de l'audiovisuel comme auxiliaire de la lecture fait perdre à la Bibliothèque Circulante une grande partie de ce qui aurait dû constituer so originalité. Les prêts de l'établissement se poursuivent néanmoins au rythme de l'année précédente.                  
Le Conseil Général, qui ampute la plupart de ses aides, envisage un moment de ramener sa subvention pour 1940 à 10000 francs. Vendel craint d'être obligé, de ce fait, d'arrêter les tournées au printemps 1940 ... ce qui se produira par suite de circonstances extérieures. La participation financière de l'assemblée départementale est toutefois finalement rétablie au niveau de celle de 1939.                                                                                                                         
Au moment de l'invasion nazie, les fonds diminuent de près de 1/5ème, 1500 volumes étant perdus o détruits dans des incendies. Les restrictions de carburant empêchant la plupart des tournées, le département prend à sa charge l'équipement du bibliobus pour fonctionner au gazogène (coût: 20.000 francs). Vendel obtient d'autre part du Conseil Général le vote d'une subvention complémentaire de 20.000 francs afin de restaurer les volumes endommagés et d'en acheter de nouveaux.                                                                                                                             
Malheureusement, le fonctionnement du véhicule équipé au gazogène n'est pas excellent. Aussi Vendel se plaint-il au constructeur: "Depuis trois mois que la voiture est équipée, pas une seule fois nous n'avons pu mettre en route sans l'intervention du garagiste qui a monté votre gazogène. Une fois en route, la voiture marche généralement bien, sauf toutefois pour la montée des côtes où il faut souvent recourir à l'essence. Les pannes au départ sont d'autant plus regrettables qu'elles se produisent en pleine ville, près du marché. On voit le mécanicien chercher, parfois des heures, d'où elles peuvent bien provenir; cela devient la fable de la ville et ne favorise pas votre publicité".                                                                                                          
Les tournées sont maintenant effectuées par le concierge de la B.M., qui ne peut consacrer à la Bibliothèque Circulante qu'une partie de son temps. L'entretien du gazogène est très accaparant, ce qui amène le concierge-chauffeur à donner au service un temps croissant, jusqu'à quatre jours par semaine. A la fin de 1943, la ville, son employeur, demande avec succès la participation du département à ses émoluments. Le reste du personnel est réduit à deux employées auxiliaires l'une à plein temps, l'autre payée à la journée et employée 160 jours par an.                                                                                                                                                            
C'est peu, même si l'on considère le renfort en personnel de la Bibliothèque municipale.            
Lestournées se font de manière irrégulière: "tantôt il n'y a pas de charbon de bois, tantôt le gazogène fonctionne mal ou le chauffeur tombe malade. Ces perturbations dans la desserte se poursuivent pendant toute la guerre. De plus, les circuits sont réduits au minimum du fait de la pénurie, les caisses étant souvent déposées dans une commune pour les localités voisines.          
Il est étonnant, dans ces conditions, que les défections soient relativement rares et, qu'au contraire, le nombre de points desservis s'étende encore pour atteindre 230 communes et 185 coopératives scolaires en novembre 1943. On a l'impression que plus les tournées se raréfient, plus la soif de lecture dans les campagnes est grande, le livre devenant plus que jamais la principale distraction et procurant une évasion du triste quotidien.                                               
Toutefois, le problème financier se pose avec acuité durant toutes ces années. Ne pouvant compter que sur les collectivités locales, la Bibliothèque circulante n'ose faire de rappel aux communes qui ne sont pas à jour de leur cotisation en 1941, alors qu'elles ont été privées de tournées pendant presque une année, et l'équilibre ne peut être atteint provisoirement que par les économies réalisées du fait des sorties moins fréquentes. Si les contributions demandées aux communes passent à 20 centimes par habitant en 1942, leur recouvrement s'effectue incomplètement étant donné les circonstances et ce poste de recettes n'atteint pas cette année-là 11.000 francs. Quant à l'augmentation de la subvention accordée par le Conseil Général  rendue nécessaire par la résorption des excédents, elle sert surtout à compenser l'inflation. Dans ces conditions, les achats de livres ne servent guère qu'à équilibrer les pertes et les manques se font particulièrement sentir en matière de littérature enfantine, le fonds de la B.M., elle-même très pauvre en ce domaine, ne pouvant être qu'un palliatif.                                          
es cativités se poursuivent durant toute la guerre en dépit des obstacles, dont l'arrestation de Henri Vendel par la Gestapo en mars 1944 .                                                                                      
Au début de 1945, Henri Vendel est nommé Inspecteur général des Bibliothèques afin de mettre en application les idées qu'il a conçues concernant la lecture publique. Il reste en même temps directeur de la bibliothèque circulante jusqu'à la création de la Bibliothèque Centrale de Prêt en novembre 1945.                                                                                                                                 
En effet, une "Direction des Bibliohèques et de la Lecture Publique" naît le 19 août 1945, dont un des premiers actes est de créer au niveau départemental, par l'ordonnance du 2 novembre 1945, les Bibliothèques Centrales de Prêt. Ces B.C.P. constituent le cadre administratif nécessaire à la concrétisation des propositions émises par la Commissions de la Lecture publique en 1930, que le fondateur de la Bibliothèque Circulante avait reprises à son compte. Tout naturellement le département de la Marne figure parmi les premiers dotés en raison du succès de son expérience de bibliobus.                                                                                                
Services extérieurs de l'Etat, les nouveaux établissements, en même temps qu'ils sont assurés de crédits réguliers, se voient conférer une garantie de compétence et de neutralité, conformément aux souhaits exprimés par Henri Vendel.
Oh !!!! Bibliobus      .............          Bibliothèque circulante        .................