mardi 13 novembre 2012

Première Inspection...

N°202 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à201)

Petit texte (toujours de 1979 !) rédigé par Yvonne Labbé, Conservateur en chef honoraire de l'Institut national des langues et civilisations orientales, Paris.

Henri Vendel a été l'un des premiers inspecteurs généraux des premières bibliothèques centrales de prêt crées par la nouvelle Direction des bibliothèques. C'était en 1946. Après plus de trente années, loin d'être oublié, il est toujours présent dans le souvenir des bibliothécaires chargées de mettre sur pied cette institution naissante et de lancer les bibliobus sur les routes du département qui leur était confié. Ces bibliothécaires embrassaient leurs nouvelles fonctions avec la conviction des néophytes et, en même temps, l'angoisse de ne pas réussir ce qui leur apparaissait comme une aventure.
C'est dire que le premier inspecteur général et la première inspection étaient attendus avec un certain émoi. Un réconfort cependant: nous connaissions déjà Henri Vendel qui, pionnier de la lecture publique rurale, nous avait accueillies à Châlons dans sa bibliothèque qu'il avait organisée dans la Marne. Nous avions donc l'espoir, sinon la certitude, qu'il serait particulièrement compréhensif à nos problèmes de métier et peut-être particulièrement indulgent et puis, nous étions rassurées par sa gentillesse très spontanée et sa douceur apparente. Mais sait-on jamais?
Certes, il ne m'a pas déçue lorsqu'il a fait son apparition dans ma bibliothèque du Loir-et-Cher, qui sortait à peine du chaos et que je n'étais pas tellement fière de présenter à u n Inspecteur général. Mais, la personnalité de celui que j'ai connu était infiniment plus riche et plus complexe. Plein de douceur et de compréhension certainement; indulgent peut-être; mais, surtout généreux, il savait se mettre humainement au niveau de la bibliothécaire qui craignait de mal entreprendre sa tâche. Il redonnait ainsi la confiance qui renforce le courage. On ne pouvait douter de lui; sous un dehors de simplicité, il s'imposait. Bien que renversant la barrière qui sépare l'inspecteur de l'inspectée, il inspirait un profond respect et on le croyait. Certains problèmes fort délicats ont pu lui être confiés. On était sûr que sa réponse était la bonne et les cas de conscience s'évanouissaient. Je dois beaucoup à Henri Vendel sur le plan pesonnel. Il était poète. Sans doute pouvait-il par l'élévation de sa pensée prendre une influence qui dépassait de beaucoup le cadre professionnel.
Sa disparition prématurée a été ressentie comme un choc atrocement douloureux. Nous sentions que dans l'accomplissement de notre tâche quelque chose s'était effondré et, surtout, on regrettait celui qu'on ne pouvait s'empêcher de considérer comme un ami plus que comme un juge sévère, parce qu'on sentait en lui une infinie bonté. Je n'ai connu Henri Vendel que pendant trois années, et pourtant sa personnalité toujours au-dessus des contingences habituelles m'a fortement impressionnée. Je suis heureuse de trouver ici l'occasion d'affirmer que je suis restée très profondément fidèle à sa mémoire.
Et aussi, je me fais un devoir de rapporter un de ses propos que je n'ai jamais oublié: "Ce ne sont pas les idées qui comptent, mais les hommes". C'était un conseil d'une très grande sagesse s'il s'appliquait à nos préoccupations professionnelles, mais l'enseignement qu'il contenait s'élevait très au-dessus de ces limites. C'était certainement là une pensée chère à Henri Vendel, car je me souviens de la grande force de persuasion avec laquelle il l'a énoncée; si bien  qu'elle s'est gravée dans ma mémoire et que, souvent tout au long de ma carrière et même dans maintes circonstances de ma vie, j'en ai senti toute la portée.
Une phrase de Lorsque l'enfant portait le monde m'avait étonnée sous la plume d'un écrivain dont la sensibilité savait si bien appréhender le charme et la poésie des choses: "Les choses sont lâches". Je l'ai comprise plus tard. C'était en l'être humain qu'Henri Vendel mettait son espoir et sa générosité l'inclinait à donner plus d'importance à la qualité de l'homme qu'à la vanité des idéologies. Cette conception, grâce à Henri Vendel, m'est apparue comme une vérité profonde. Elle a pris pour moi la valeur d'un message que je voudrais transmettre. Par delà les années, puisse-t-il être entendu.
Henri Vendel :... un homme gentil, ...

Intérieur d'un bibliobus ornais.