mardi 27 novembre 2012

Henri Vendel: Compagnie des Tonneliers-Gourmets de Châlons-sur-Marne

N°216 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à215)

Encore un texte des "Mémoires de la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts du département de la Marne" écrit par Henri Vendel, membre titulaire de la dite société. Titre démontrant la complète intégration de l'auteur dans cette région de la Champagne.
Dans l'historique qu'il a consacré à la corporation des tonneliers de Châlons, Grignon déplore que les archives de cette communauté n'aient point été conservées. "Ses registres de comptes, de délibérations ou conclusions, ses statuts même, ont disparu", dit-il .
Nous sommes heureux de vous présenter ce soir une épave échappée au naufrage.
A vrai dire, elle ne provient pas de l'ancienne corporation des tonneliers qui fut abolie par la loi du 15 février 1791, mais de la compagnie des tonneliers-gourmets, fondée en cette ville le 22 avril 1802.
C'est un registre contenant les actes et règlements de cette société depuis floréal jusqu'au 30 octobre 1830, c'est-à-dire pendant presque toute la durée de la compagnie. Je dois à l'obligeance de son propriétaire, M. Roger Godart, d'en avoir la communication.
Il débute par un règlement dont vous me permettrez de vous donner lecture:
REGLEMENT
Art 1er - Que la garde du vin étant sur la place sera composée de trois hommes d'entre nous qui surveilleront tout le jour et la nuit à la sûreté du vin, et la dite garde ne pourra jamais être moins de deux hommes.
Art 2 - Ceux qui seront chargés de cette garde demeureront responsables des inconvénients qui pourraient arriver audit vin.
Art 3 - A l'avenir les Tonneliers-Gourmets qui viendront remplacer ceux actuels seront tenus de payer entre les mains de la dite compagnie la somme de vingt-quatre francs pour indemnité des dépenses faites tant pour le bail fait avec la commune que pour l'entretien de la Baraque, impression, affiches, qu'autres frais et dépenses inévitables, à l'exception et réserve que les fils de maîtres-tonneliers ne payeront que douze francs.
Art 4 - Lorsqu'il y aura lieu d'assembler la Compagnie, chaque membre y sera invité par un d'eux qui sera choisi parmi eux pour cet effet et qui pourra être changé au gré de la compagnie.
Art 5 - Nul ne pourra se soustraire aux Assemblées qu'en payant dix sols à la compagnie si ce n'est pour cause de maladie ou qu'il soit en campagne, ou il sera expulsé du corps et le choix sera fait d'un autre pour le remplacer.
Art 6 - Il sera nommé deux membres d'entre eux pour recevoir les droits portés par le règlement de police. Un d'eux sera chargé de la recette et tous les deux la signeront jour par jour, et surveilleront à tout ce qui peut se payer et en rendront compte à la compagnie.
Art 7 -  Aucun vaisseau contenant du vin ne pourra être enlevé de dessus la place qu'il ne soit revêtu d'une marque distinctive d'un desdits gourmets.
Art 8 - Tous les membres composant la dite compagnie se prêteront mutuellement aide et secours pour l'exécution du présent règlement et dans ce qui pourrait survenir à la suite.
Art 9 - On ne laissera enlever aucune pièce de vin après le soleil couché qu'il n'y ait au moins un des membres qui en soit prévenu.
Art 10 - La location du déchargeage tant foir que hors foir se payera comptant aussitôt l'adjudication faite.
Art 11 - Pour le premier remplacement qui sera fait à l'avenir, le choix sera pris parmi un des fils des maîtres tonneliers que la compagnie jugera à propos.
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Les articles de ce règlement nous donne la raison d'être de cette compagnie. Il ne s'agit pas seulement, comme le croyait Grignon, de "ce sentiment qui porte les hommes de même profession ... à se grouper et à s'unir" pour célébrer la fête de leur confrérie au jour accoutumé.
Les tonneliers-gourmets avaient d'autres soucis. Ils étaient "locataires de la place dite grande Etape pour le dépôt des vins qui arrivent tous les jours en cette ville sans destination", et ils se préoccupaient surtout de veiller "à la sûreté du vin".
Nous avons donc là une société très différente de l'actuelle confrérie des tonneliers et très différente aussi de l'antique corporation. Elle se rapprocherait plutôt d'un syndicat patronal de marchands de vin.
Ainsi s'explique le nom de tonneliers-gourmets que prennent les membres de la compagnie. "Un gourmet, a dit Voltaire, est celui qui discernera le mélange de deux vins". Les tonneliers - gourmets entendent se distinguer d'un côté des fabricants de tonnellerie, et de l'autre des simples ouvriers. Tous les membres de la compagnie sont en effet des maîtres tonneliers, et le règlement spécifie que, s'ils viennent à mourir, ils seront remplacés par leurs fils.
Le registre nous les montre s'occupant surtout du chargement et déchargement des vins sur le champ de foire, c'est-à-dire rue Grande-Etape. Il y avait alors quatre foires aux vins: celle de la Saint-Martin, la plus importante; celle des Brandons, le premier samedi de carême, celle de la Pentecôte et celle de Saint-Remi.
Le vin provenait principalement des localités suivantes: Damery, Oeuilly, Mareuil, Vauciennes, Boursault, Saint-Martin-d'Ablois, Athis, Venteuil, Chouilly, Mardeuil, Moussy, Cuis et Vinetz.
A chaque foire, le chargement et déchargement du vin était mis en adjudication parmi les sociétaires. Le 19 pluviôse an XII, le déchargeage des foires des Brandons, Pentecôte et Saint-Remi, et le hors foire, à commencer  le jour de la foire des Brandons et finir la veille de la foire suivante, est loué au citoyen Cosson, moyennant le prix de cinquante-cinq francs. En 1830, cette somme de cinquante-cinq francs n'assure que le déchargement de la foire des Brandons. Il y a donc eu une légère augmentation du prix de location.
A son tour la compagnie payait à la ville une redevance qui était de 50 francs en 1802, et se montait à 150 francs en 1823.
Un tour de garde était établi entre les confrères, qui, en 1806, devaient monter la garde 3 par 3 pendant 24 heures consécutives et étaient tenus pour responsables des délits qui pouvaient se commettre pendant  leur veille. Peut-être eux-mêmes n'étaient-ils pas exempts de tout reproche, car on leur recommande de ne pas s'enivrer, au moins pendant leur surveillance.
Ils étaient tenus d'assister aux assemblées dela compagnie sous peine d'une amende de 50 centimes .
La fête de la compagnie était la Fête-Dieu. Ses membres offraient alors le pain bénit, et quatre d'entre eux portaient le dais.
Tels sont les renseignements qu'il m'a été possible d'extraire de ce registre. Tous succincts qu'ils soient, ils projettent cependant quelques lueurs sur un point de l'histoire économique de notre ville et méritaient sans doute, à ce titre, d'être recueillis.
Ainsi Henri Vendel s'intéresse, participe à toutes les classes de la Société champenoise....