dimanche 18 novembre 2012

Henri Vendel, Bibliothécaire à Châlons-sur-Marne.

N°211 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à210)

Texte de 1979 de Germaine Jeulin, Conservateur honoraire de la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne....

Henri Vendel!  prononcer ce nom, trente ans après sa disparition, c'est évoquer dans le souvenir d'un si grand nombre de Châlonnais, l'érudit, le conférencier, le poète, l'humaniste, le patriote, ce bibliothécaire si disponible, à qui rien de ce qui était humain ne fut étranger.
Puis-je donner la parole à quelques-uns de ses collègues et des lecteurs qui l'ont pleuré? Ils ont su si bien exprimer son incomparable personnalité!
" On sait quelle fut l'influence de ce précurseur, et quelle haute idée il se faisait de la mission de bibliothécaire"
"Il fut le véritable pionnier de la lecture publique; quiconque aura eu le privilège de l'approcher gardera toujours le souvenir de son affabilité et de l'ardeur contagieuse où perçaient l'âme du poète et celle de l'apôtre".
"Il fut un chef, doublé d'un apôtre, il avait une foi ardente qu'il savait, en peu de mots, communiquer. Il était lui-même, malgré sa profonde modestie un  exemple vivant devant lequel on a honte de ses insuccès".
"C'est bien lui qui a été le pionnier de cette lecture publique à laquelle, il s'était si entièrement consacré".
Me sera-t-il pardonné d'y ajouter le portrait que j'essayais de tracer,  sitôt après sa mort, étreinte par l'émotion profonde des moments vécus près de Madame Vendel et de sa fille.
"Il  aimait intensément la vie et la passa sous le signe de la perfection, exemple vivant de cette parole de Stendhal qu'il avait inscrite seule, en tête d'une grande page blanche comme une maxime de vie: "Ne négligez rien de tout ce qui peut vous faire grand".
Esprit original et fécond, étrangement lucide, cachant peut-être par son sourire, le jugement qu'il ne voulait prononcer, il nous laisse confondu devant l'ampleur de la tâche qu'il s'était assignée. Il touchait à tant de choses et le faisait avec succès, puis il abandonnait à d'autres la joie des réalisation s faciles dès qu'il avait pu vaincre, avec son ardeur inlassable, les si grandes difficultés de la création et de la mise au point. Car il allait à la vie comme au combat, donnant les preuves de rares qualités de sang-froid, de bravoure, d'initiative intelligente, payant de sa personne, communiquant à tous le sentiment du devoir qui l'animait, ainsi que le proclamait déjà ses citations de guerre.
Tout ce qu'il entreprenait avait vie, une vie ardente qu'il répandait autour de lui, il rayonnait de chaleur humaine et fit de tous les bibliothécaires ses disciples et ses amis qui attendaient encouragement et lumière, joie et confiance de ce chef incomparable, ce modèle.
Puissent ces témoignages éclairer l'image d'Henri Vendel, bibliothécaire et poète! Il fut celui qui montre la voie, qui guide, partage toutes ses expériences et fait découvrir les joies rayonnantes d'une oeuvre toute au service des autres. Sa disparition nous parut laisser un vide impossible à combler. J'ose ajouter que je lui dois l'épanouissement et les joies profondes de ma vie professionnelle.
Après ce florilège, puis-je me permettre d'évoquer quelques souvenirs et d'esquisser son oeuvre?
Pour la jeune chartiste que j'étais en 1932, venant d'une école consacrée à la recherche historique, étudiée dans une atmosphère austère, en demi-teinte, en contact quotidien avec les vénérables documents anciens, quelle surprise et quelle découverte fut mon stage à la bibliothèque de Châlons! Henri Vendel me fit brusquement comprendre le rôle éminent que peut avoir une bibliothèque publique, foyer culturel toujours en évolution, à la disposition de tous, quel que soit leur âge, leur culture, leur aspiration, adaptant sa ligne de conduite aux courants nouveaux, élargissant constamment le cercle de son action culturelle, artistique, éducative.
 Son enseignement était des plus variés. Plus encore que les travaux qui me furent confiés, je garde en mémoire ces conversations si directes, simples, bienveillantes que nous avions chaque soir, sur le chemin du retour vers la rue Kellermann. Il me faisait connaître ses projets, ses démarches, me décrivait l'image de la bibliothèque idéale, accueillante et efficace et je découvrais quelle qualité d'intelligence et plus encore de coeur et de dévouement exigerait une telle entreprise.
Cette action continua au long des années. L'Association des Biliothécaires Champenois (Reims, Epernay, Soissons, Laon, Mézières, Chaumont, Troyes, Châlons) qu'il avait créée et qu'il inspirait fut un centre d'amitié, d'entr'aide, d'encouragement mutuel, qui nous attachait plus profondément à notre tâche quotidienne. Nous partagions la même volonté d'améliorer nos services, de vaincre les difficultés administratives et financières, de tenter de nouvelles expériences. Quel rayon de soleil nous apportait chacune de nos réunions, surtout pendant la guerre, réunions frugales mais si amicales, si empreintes de chaleur humaine! C'est en cette époque (1943) où l'on avait tant besoin de vivre au coude à coude, qu'il vint faire une conférence à l'Hôtel de Ville de Troyes sur le "Don de la Champagne au monde", malgré une grande fatigue cachée par un sourire.
Qu'il me soit permis d'évoquer aussi le Conservateur du Musée de Châlons, ce musée qu'il présenta avec un tel sens artistique et pédagogique, mettant en valeur la peinture, la sculpture, l'art du meuble, de la verrerie et des bijoux, tout autant que les témoins archéologiques de l'Antiquité et du Moyen-Age, et la collection ornithologique. Quelle dut être sa peine quand il fallut mettre à l'abri, puis évacuer, dans des circonstances difficiles, tous les documents précieux de la bibliothèque et du musée, en 1940. Il les accompagna lui-même jusqu'à leur lieu de refuge et tout fut sauvé. 
Cette activité débordante ne suffisait pas à ce biliothécaire. Passionné d'art et de beauté autant que de culture, il participait et souvent présidait de nombreuses sociétés locales: la Société Académique, l'Art Vivant, l'Association des Amis et des Arts, le Folklore Champenois, le Ciné-Club qu'il créa, le Cercle photographique.
Ne disait-il pas à ses collaborateurs, en montrant un petit carnet-confidence qu'il leur lisait parfois: "Une idée par jour! Pour travailler il faut une idée par jour".
Qu'il me soit permis enfin de laisser Henri Vendel nous présenter l'une de ses idées, dans un texte écrit en 1935. Qui ne searait surpris d'y découvrir un thème si actuel, aux heures présentes: l'Europe.
"Il faut s'élever au-dessus des patries (...) A chaque époque de l'histoire, les serviteurs de l'idéal ont leur mission précieuse. De nos jours, c'est l'étreinte des nationalistes qu'il faut briser. Il ne s'agit pas de renier nos patries, mais l'heure est venue de nous rendre compte que la France, l'Allemagne, l'Angleterre et toutes les autres sont filles d'une même mère. Qu'elles cessent donc de se quereller et qu'elles s'assoient dans un banquet fraternel, à la table de l'Europe (...) La seule solution est de s'élever au-dessus des patries et de créer l'Europe. (...) de lancer le projet de Fédération Européenne (...) Il faut donc que chacun de nous crée l'Europe, qu'il se fasse d'abord une mentamlité européenne, qu'il travaille à la répandre autour de lui".
Mais un texte d'Henri Vendel démontrera mieux que tout quelle était sa nature profonde. Sous le titre "Un humble qui était grand", il rendit ainsi hommage à l'un de ses employés.
"Un travailleur châlonnais vient de disparaître après une vie qui mériterait à bien des égards d'être citée en exemple.
Beaucoup de lecteurs de la Bibliothèque municipale se souviendront d'avoir vu errer dans la salle de lecture ou l'escalier une espèce de fantôme toujours au travail.
Depuis longtemps, Emile Cher était presque aveugle et presque sourd. En outre, de terribles maux le rongeaient qui lui donnaient cet aspect squelettique si frappant.
Nul plus que lui n'aurait eu le droit de se révolter contre le destin. Or, jamais je ne l'ai entendu se plaindre, si ce n'est de ne plus pouvoir travailler.
Son humble métier de balayeur, il le faisait avec un tel soin, une telle conscience, qu'il y entrait de la grandeur. Il semblait qu'il eût des yeux au bout des doigts pour déceler la poussière.
Quant à son dévouement, qu'il me soit permis, pour en donner une idée, de rappeler un fait personnel. Quand je fus arrêté par les Allemands en mars 1944, Emile Cher se fit conduire à la Gestapo et demanda aux policiers d'être pris en otage à ma place.
En vérité, parmi les hommes célèbres qu'il m'a été donné d'approcher, je n'en connais pas qui m'aient laissé un sentiment de plus authentique grandeur que ce simple frotteur de parquet".
Henri Vendel, un homme sans peur et sans reproche par tous les textes susdits...........