jeudi 15 novembre 2012

Henri Vendel et l'Inspection des Bibliothèques.

N°207 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à206)

Ecrit en 1979 par Pierre Lelièvre, Inspecteur Général, Adjoint au Directeur des bibliothèques de 1945 à 1964.

Si la Direction des bibliothèques de France et de la lecture publique et, d'une certaine manière, l'inspection générale des bibliothèques et de la lecture publique n'existent juridiquement qu'à compter du 1er janvier 1945 et par la loi de Finances, on peut dire que c'est la légitimation d'une naissance qui remonte à la libération de Paris , le 24 août 1944. Henri Wallon, commissaire à l'Education Nationale au nom de la résistance a , sur le conseil de Georges Bourgin fait appel à Marcel Bouteron, inspecteur général mis à le retraite d'office par Vichy, pour mettre sur pied un Service national des bibliothèques, centralisant les activités de toutes les bibliothèque et ayant également pour objectif prioritaire l'organisation de services de lecture publique susceptibles de couvrir tous les départements français. Marcel Bouteron hésite un moment, puis accepte, après m'avoir  consulté en ma qualité de président de l'A.B.F (association des Bibliothécaires français).
 La IIIe République n'a pratiquement rien fait pour la Lecture Publique. La bonne volonté de Jean Zay en ce domaine est restée théorique et tout l'effort du gouvernement du Front Populaire s'est porté sur la jeunesse et les sports avec Léo Lagrange pour animateur.
 Dans le domaine de la lecture publique, le retard de la France est consternant et scandaleux. Point de bibliothèques municipales dans les communes rurales. Dans les villes, petites et moyennes, c'est la léthargie ou , au mieux, la somnolence. Pourtant, Henri Vendel a montré en quelque vingt ans ce qu'on pouvait faire pour, et avec les lecteurs. Il a su persuader, convaincre, une municipalité d'abord hésitante; mieux, il a réussi à susciter l'intérêt du Conseil général, de la Préfecture, des maires, et le département de la Marne à son bibliobus, admirable exemple de ce que peuvent la persévérance et la foi !
Mais Vendel est un homme d'exception. On ne peut espérer en trouver 89 de cette trempe pour animer, de leurs seules forces, 89 départements. Un cadre institutionnel, une structure administrative sont nécessaires. Mais l'expérience humaine de Vendel est irremplaçable; on fera donc appel à lui, après l'avoir persuadé, non sans peine, que sa place en ce tournant décisif n'est plus à Châlons mais à Paris,  ou plutôt dans toute la France.
Tâche exaltante, mais combien difficile. Parcourir la France en pèlerin de la culture populaire en 1945, ce n'est pas rien: le réseau ferroviaire est particulièrement détruit, démantelé. Il n'y a guère de voitures en état de circuler, et pas d'essence. Mais y a-t-il au moins des livres ? Les éditeurs n'ont plus de stocks et s'ils ont des projets, ils n'ont plus de papier; cette pénurie devait durer des années et nous eûmes grand peine à obtenir pour la réimpression d'un fonds d'ouvrages classiques (au sens très large du terme) un contingent modeste de papier d'impression qu'il fallut répartir en quelque sorte sans contrat.
Avant d'imprimer il fallait chercher tout ce qui pouvait exister de valable. Que de jours passés dans les arrière-boutiques de vieux libraires à retrouver des ouvrages épuisés, des collections plus ou moins dépareillées mais encore utiles, à fouiner dans les boîtes des quais! Peu à peu, un stock de plusieurs centaines de milliers d'ouvrages, de littérature, d'histoire, de sciences et de sciences humaines fut ainsi constitué. Qu'on n'accuse pas les artisans de la prmière heure d'avoir cédé à l'esprit centralisateur qui inspirait et qui inspire toujours l'administration française. Cette initiative dirigiste était la seule action possible dans la grande misère des années 1945-1946. Une grande misère mais aussi un grand espoir et une volonté forte.
Animé par Henri Vendel, ce dirigisme était sans péril, car nul plus et mieux que lui n'était respectueux des consciences. Après Vichy, la restauration des libertés intellectuelles et spirituelles s'imposait dans la tolérance et le respect. Il était vraiment l'homme de cette situation.
Nous nous connaissions, Henri Vendel et moi, de longue date, mais nos rencontres avaient été brèves; le temps de se reconnaître, le temps de savoir aue, un jour venu, nous étions aptes à poursuivre d'un même coeur une tâche commune.
"Ne me demandez pas de faire du travail administratif. Je m'y suis soumis par nécessité mais là n'est ni ma vocation ni mon talent. Je puis réconforter des bibliothécaires accablés par l'indifférence des pouvoirs; je puis animer et guider un zèle ardent mais maladroit, je suis tenter de persuader - et parfois y réussir - des municipalités indifférentes ou réticentes... " Tel fut l'essentiel de son propos lors de nos premiers entretiens où nous discutâmes de la répartition des tâches et de nos méthodes de travail. Nous avons formé une équipe confiante avec André Masson, de qui relevait le vaste secteur des bibliothèques sinistrées et celui de la récupération des milliers d'ouvrages pillés par les occupants et qu'on retrouvait en Allemagne., Paul Poindron tout jeune conservateur, passionné pour toutes les causes, et nos collaborateurs de la première heure.
Trains incertains, hôtels sans chauffage, bibliothèques sans lecteurs, municipalités pour qui l'ordre de priorité des tâches relèguent les bibliothèques et les musées à l'arrière-plan et à après-demain. Rien ne devait rebuter Henri Vendel, encore moins le décourager. Tout de suite il a aimé son nouveau métier, et sans dote s'y est-il surmené, hâtant sa fin. Mais il n'était pas homme à se ménager et, si mesuré fût-il dans songeste comme dans son propos, il détestait les précautions et les réticences. Il était un homme engagé, au sens noble de ce terme, pur alors, mais aujourd'hui quelque peu dévoyé. Il m'a dédié un poème intitulé Le Chemineau. "Sans allusion!" me dit-il en me le remettant. Pas sûr! car si le sourire était toujours chez lui généreux et franc, le regard, assez souvent, s'allumait d'un éclair d'humour et de malice.
Longtemps le développement de la lecture publique fut freiné par les difficultés budgétaires. Peu de ministres s'y sont vraiment intéressés. Elle a progressé difficilement, lentement. Depuis quelques années cependant, elle a bonne presse et crédits. Trop tôt disparu, pour ses amis, pour ses lecteurs, pour ceux que nous pouvons bien appeler ses disciples. Henri Vendel fut cependant l'un des artisans majeurs de ce succès.
Que penserait-il de cette réussite, de ces cars, vastes et presque luxueux qui parcourent les petites routes d'Alsace ou d'Indre-et-Loire? Il s'en réjouirait sans nul doute. Mais peut-être qu'il se poserait à l'occasion la question de l'authenticité. Ne faisons point parler les morts. Mais pensons à ces pauvres livres. J'entends "pauvres" par leur présentation - grands textes imprimés sur du papier à chandelle - , que les premières camionnettes déposaient à la mairie ou à l'école. Ils étaient accueillis, souvent avec piété, par des lecteurs révélés à eux-mêmes; aujourd'hui, leurs descendants malmènent, ave distraction, de très luxueux albums... La civilisation du livre en question? Peut-être, et j'ajouterai, sans craindre de manquer à la mémoire d'Henri Vendel, hélas!
Toujours et encore des "fleurs" de toutes sortes pour Henri Vendel......