mercredi 21 novembre 2012

Rapport sur un concours d'histoire par Henri Vendel, membre titulaire résidant.

N °214 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144..187à192.194à213)

Henri Vendel, nommé Conservateur de la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne en 1921, s'intégra rapidement à cette région en entrant dans de nombreuses associations. Ainsi ce sera dans la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts de ce département de la Marne. Il aura l'occasion d'y faire de nombreux rapports, ici au sujet du Concours d'Histoire en 1923:
Mesdames, Messieurs,
J'ai à vous rendre compte cette année de deux travaux historiques.
Le premier nous expose 'l'état de l'instruction primaire dans le département de la Marne sous la Restauration."
Le sujet est intéressant, il est même d'actualité en ces jours où l'on parle de supprimer de nombreux postes d'instituteurs. L'époque étudiée est à une distance, ni trop proche ni trop éloignée de la nôtre, fort convenable pour comparer et mesurer le chemin parcouru. C'est l'un des charmes de l'histoire qu'elle permette à l'homme de s'arrêter quelques instants dans sa course et de regarder en arrière. Dominant les faits comme d'un haut plateau, il découvre l'harmonie de la vallée, il voit d'où il vient et il comprend que sa marche a un sens.
Essayons, voulez-vous, de goûter ce plaisir et, puisque notre auteur nous y invite, faisons un bond de cent ans en arrière. Les écoliers d'alors, nous les avons connus: c'étaient nos grands-pères ou nos arrière-grands-pères. Vous souvient-il d'avoir appris le b-a-ba sur leurs genoux? Ils ne manquaient pas alors d'évoquer leurs anciens maîtres, et, songeant à nos écoles modernes, de dire, branlant le chef: " De notre temps, nous n'étions pas gâtés comme vous."
Accompagnons-les donc, par la pensée, sur le chemin de l'école, comme ils nous y accompagnèrent parfois nous-mêmes.
S'ils habitent la ville, nous serons vite rendus, qu'ils aillent chez les frères des Ecoles chrétiennes, ou bien à l'Ecole laïque d'enseignement mutuel. Mais s'ils sont campagnards, il nous faudra parcourir un long et mauvais chemin, et même, s'ils dépendent du canton de Saint-Remy-en-Bouzemont, nous risquons de rester embourbés, car dans cette région marécageuse, dès la première pluie, un cheval a bien de la peine à tirer une voiture vide.
Nos écoliers souffrent d'autant plus du mauvais chemin qu'ils vont à l'école en hiver. Aux beaux jours, il faut aider les parents aux champs, conduire l'âne et charrier les engrais de la vigne, garder les volailles, récolter les faînes et les glands. C'est une besogne dont on est plus fier que d'apprendre à lire et qui ennuie moins. Les parents souvent illettrés, trouvent plus avantageux d'utiliser les jeunes forces de leurs enfants que de payer pour eux un droit d'écolage. Aussi, dans certaines communes comme Faux-Fresnay, la classe ne dure-t-elle que trois mois, et, parmi ceux qui la fréquentent, beaucoup sont des bambins de trois ou quatre ans. Trop jeunes pour apprendre, ils dissipent leurs aînés. Il n'est donc pas étonnant qu'en 1833 un inspecteur propose d'interdire l'entrée de l'école à tout enfant qui n'aurait pas atteint sa neuvième année. " Avant cet âge, dit-il, les enfants n'ont besoin que de la surveillance d'une bonne qui leur enseignerait le Pater et l'Ave, en les leur répétant tous les jours plusieurs fois."
Cependant, clopinant, pataugeant, et courant pour se réchauffer, les enfants arrivent au village. Ne nous attendons pas à trouver une belle maison d'école, percée de larges baies, comme tant de nos communes rurales s'enorgueillissent aujourd'hui d'en posséder. Rarement alors des bâtiments spéciaux sont affectés à l'instruction primaire. L'instituteur fait sa classe dans sa maison, ou bien à la mairie, ou bien au presbytère, dans une grange, parfois même dans une cave.
Les enfants s'entassent, et comme, au dire d'un inspecteur, ils sont presque tous malpropres, une odeur insupportable emplit la pièce, accrue encore par les chaufferettes ou "couvets" qu'ils apportent.
Aussi n'est-il pas rare de voir, dans une matinée, cinq ou six d'entre eux tomber à demi-asphyxiés.
Tant bien que mal, ils apprennent à lire, écrire et compter, à prier aussi, car l'instruction religieuse est à la base de l'enseignement sous la Restauration. Dans les écoles où l'instituteur est pourvu d'un brevet du premier degré, on ajoute au programme le dessin, la géographie, la grammaire, la géométrie et l'arpentage.
Les écoliers généralement n'ont pas d'abécédaire, ils apprennent à lire dans le premier livre venu, celui que possèdent les parents, parfois un almanach de deux sous, parfois même un recueil de contes grivois. On ne tient guère compte de la liste dressée par la Commission de l'Instruction publique en 1517 et qui recommande des livres de prières, des syllabaires tels que la "quadrille des enfants ou système nouveau de lecture", "le catéchisme historique de l'abbé Fleury", "l'arithmétique des demoiselles" (dont l'auteur avait sans doute observé que les dames, qu'il s'agisse d'années ou de toilettes, comptent rarement comme les hommes), " les éléments théoriques et pratiques du calcul des changent étrangers", que l'on devrait bien rééditer aujourd'hui, "la grammaire de Lhomond", etc.
Les punitions ne manquent pas: retenue, mise à genoux, tâche extraordinaire, coups de verge, férule, martinet. Les récompenses, moins nombreuses, consistent en bons points, images, livres de prix.
Les maîtres n'en savent pas beaucoup plus long que leurs élèves. D'après l'ordonnance royale du 29 février 1810, il faut, pour enseigner, être pourvu d'un certificat de bonne conduite, décerné par le curé et le maire de la commune où l'on habite et obtenir un brevet de capacité. Mais ce brevet, qui comporte trois degrés, n'exige pas de profondes connaissances. Il suffit, pour le degré inférieur, de savoir lire, écrire et chiffrer. Naturellement ces instituteurs sont peu payés. Leur traitement annuel n'atteint pas toujours deux cents francs. Chaque élève paye un droit d'écolage qui varie de 0 fr. 20 à 0 fr. 75 par mois, ceux qui savent écrire payent plus que les autres. L'instituteur a en outre le droit de faire des quêtes; on lui donne du vin, du bois, des oeufs. Malgré cela, ses émoluments sont si faibles que, pour soutenir sa famille, il a souvent recours à un autre métier: vigneron, maçon, tonnelier; sa femme tient une épicerie.
D'ailleurs, aux termes de ses conventions avec les municipalités, il ne doit pas se contenter de faire l'école. Il est aussi secrétaire de mairie, et même secrétaire des habitants dont il rédige la correspondance; il publie les annonces, arpente les champs, règle l'horloge, chante à l'église, porte l'eau bénite tous les dimanches dans les maisons du village, assiste le curé aux baptêmes et inhumations, l'accompagne quand il administre les sacrements aux malades, sonne l'Angelus, balaye l'église, enseigne le catéchisme aux enfants.
L'instituteur est donc alors l'auxiliaire du curé, un peu son vicaire, et cela ne veut pas dire forcément son ami. Déjà souvent, ils se dressent l'un contre l'autre, et leurs rivalités prennent parfois des formes singulières. C'est ainsi que le baron de Jessaint doit rappeler à l'ordre plusieurs instituteurs qui empiètent sur les attributions de leurs curés, et, non contents de chanter la messe, revêtent les habits sacerdotaux, processionnent, font des exhumations et donnent aux ouailles leur bénédiction.
Comment la politique ne songerait-elle pas à exploiter ces rivalités? Les libéraux devinent l'appui qu'ils pourront trouver dans les instituteurs. Aussi, pour parer au danger, en avril 1824, après le triomphe de la droite aux élections, une ordonnance royale confie-t-elle aux évêques la haute surveillance des écoles. Ceux-ci, par l'intermédiaire de comités, s'assurent que les maîtres bien le catéchisme, pratiquent leurs devoirs de chrétien, font bon ménage avec leurs épouses, écoutent les avis de leurs curés. Le comité doit aussi veiller à ce que garçons et filles ne soient pas réunis pour l'enseignement. Dans les campagnes où l'on ne possède qu'un seul instituteur, il doit faire classe aux garçons le matin, le soir aux filles.
L'instruction de celles-ci paraît d'ailleurs un luxe bien inutile, et souvent elles doivent se contenter de ce que leurs mères peuvent leur apprendre. L'évêque recommande toutefois d'établir dans les paroisses des écoles tenues par des soeurs institutrices.
Voici, tracé à grands traits, d'après notre auteur, le tableau de l'instruction primaire dans les campagnes de la Marne, sous la Restauration.
Les villes sont un peu plus favorisées.
A Reims, Sainte-Menehould, Vitry-le-François,  les frères des écoles chrétiennes instruisent de nombreux élèves, mais ce n'est qu'en 1833 qu'ils ouvriront à Châlons leur première école (et non en 1836 comme le dit notre auteur). Comme ils doivent, d'après leur règlement, toujours s'établir par trois, les communes rurales ne peuvent compter sur eux.
A Châlons, en 1833, une école gratuite d'enseignement mutuel, établie dans les bâtiments du collège, peut recevoir deux cents élèves. Un instituteur est attaché à chacune des cinq paroisses, et la ville compte en outre cinq écoles privées. Elle inscrit à ses dépenses 2.350 francs pour l'école d'endeignement mutuel, 975 francs pour les Dames de Saint-Vincent de Paul, 500 francs comme indemnités de logement aux instituteurs attachés aux cinq paroisses, soit au total 3.825 francs par an.
Des communautés religieuses se chargent de l'enseignement des jeunes filles: les Dames de la Congrégation Notre-Dame, établies dans l'ancien couvent des Récollets, instruisent gratuitement 300 filles; les Dames de Saint-Vincent de Paul, 120; les soeurs de la Providence, rue du Collège, une centaine.
Il est regrettable que notre auteur ne se soit pas étendu davantage sur l'état de l'instruction primaire dans les villes. Alors que ses renseignements sur les campagnes sont abondants et précis, il ne nous dit presque rien de la fréquentation scolaire urbaine, ni des rivalités entre les frères de la doctrine chrétienne qui tenaient pour l'enseignement simultané et les laïcs qui préconisaient l'enseignement mutuel. Et cette lacune s'explique quand on remarque que notre auteur, qui a puisé abondamment aux sources des Archives départementales, a négligé complètement les archives municipales.
J'aurais d'autres reproches à lui adresser, celui notamment de n'avoir pas rattaché ce fragment d'histoire locale à l'histoire nationales. L'auteur cite des circulaires ministérielles, mais on en comprendrait mieux l'esprit s'ilavait soin de nous rappeler que celle de 1817 encourageant l'enseignement muuel émanait d'un royaliste modéré, M. Decazes, qui pratiquait une politique de gauche; tandis que l'ordonnance royale du 8 avril 1824 s'explique par le triomphe aux élections récentes des ultra-royalites qui voulaient confier au clergé l'éducation de la jeunesse.
Et je lui reprocherais encore de ne nous apporter que des matériaux, au lieu de construire une oeuvre et de conclure, si je ne savais que ce travail fut publié en 1914 par le Comité des travaux historiques et scientifiques, section d'histoire moderne et d'histoire contemporaine, dans sa collection de " Notices, inventaires et documents", avec ce sous-titre qui lui convient parfaitement "Documents d'histoire locale publiés et analysés".
Nous avons donc affaire là, non pas à une étude historique, mais à une publication de documents. Ainsi compris, ce travail, quoique incomplet, est d'une grande valeur. Clair, précis, écrit dans une langue simple, sans prétention au style, comme il convient, il nous présente, classés avec méthode, de nombreux documents. Consulté par les historiens, il leur épargnera de longues recherches aux Archives départementales (et quand je songe à l'amabilité de notre confrère, M. Berland, je dois reconnaître qu'il les privera ainsi d'un plaisir). De telles oeuvres, d'apparence modeste, sont plus utiles à l'histoire que de brillantes dissertations. L'historien construit sur elles son texte, il les relègue en références au bas de la page, mais elles sont là comme les pierres de fondation, qu'on ne voit pas, et sans lesquelles l'édifice s'écroulerait. C'est pourquoi la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne décerne à l'auteur, M. Bideau, une médaille de vermeil.
Le second travail présenté au concours est une monographie de la commune de Thaas, canton de Fère-Champenoise. Je ne connais pas ce village et l'auteur me le fait vivement regretter. Que j'aimerais me promener aux bords de la Superbe qui "frôle Thaas de ses épaules humides "?
Je m'en voudrais de résumer en sec historien une oeuvre qu'anime et poétise à chaque page l'amour du sol natal.
L'auteur dit fort bien: "L'histoire du pays natal est plus facile à reconstituer que n'importe laquelle; ce coin de terre semble faire partie de nous-même, c'est la petite patrie; tout y est intéressant et vient droit au coeur". Mademoiselle Brulfer aime le passé de son village comme ses arbres et ses maisons: il fait partie du paysage. Aussi nous promène-t-elle dans les siècles écoulés comme à travers champs. Tantôt l'on s'assied sur des ruines et l'on rêve, tantôt l'on revient sur ses pas; on ne sait pas toujours bien où l'on va, mais c'est une promenade agréable et instructive.
Déjà l'an dernier son auteur nous présenta une monographie de Cheniers que la Société Académique honora d'une médaille d'argent. Je voudrais que l'exemple donné par Mademoiselle Brulfer fût suivi. Institutrice en retraite, elle emploie ses loisirs à écrire l'histoire des villages qui lui sont chers. C'est un travail fort utile. J'aimerais que chaque village possédât sa monographie que les écoliers consulteraient en classe. Il est bon d'apprendre l'histoire de France et celle du monde, mais je crois qu'on les comprendra jamais bien si l'on ne connaît d'abord l'histoire des choses qui nous entourent, que nous voyons chaque jour, qui nous sont familières, et parentes, si j'ose dire. On n'aurait garde d'oublier dans ces monographies l'histoire du village durant la guerre mondiale. On montrerait comment la vie de la commune fut affectée par la grande catastrophe; départ des mobilisés, réquisitions, passages d'émigrés, de troupes, de blessés, de prisonniers, et dans nos régions, occupation ennemie, bombardements, entraves à la circulation, pénurie de main-d'oeuvre, difficultés du ravitaillement. Toutes choses qui paraissent actuellement de peu d'intérêt parce qu'elles sont connues de tout le monde. Mais notées simplement, avec le seul souci de la vérité, ne pensez-vous pas qu'elles seraient pour nos descendants de précieux témoignages?
La Société Académique a tenu à récompenser le zèle de Mademoiselle Brulfer par un rappel de médaille d'argent.
Voilà un très long discours comme seuls les bons orateurs savent faire avec en première partie un Henri Vendel qui sait, semble-t-il, donner ses appréciations, les bonnes comme les plus médiocres et dans la deuxième petite partie nous avons un Henri Vendel qui nous rappelle le combattant qui a souffert.... Pourtant ici, en 1923, il était encore tout jeune...