mardi 13 novembre 2012

Le fonds de poésie Henri-Vendel à la bibliothèque municipale de Grasse.

N°204 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à203)

Texte (en 1979) de Didier Guilbaud, Conservateur de la Bibliothèque municipale de Grasse.

La Bibliothèque municipale de Grasse recèle de multiples trésors. Outre le fait qu'elle abrite dans l'immeuble du boulevard Antoine Maure les archives municipales bien connues des historiens de la Provence et une fabuleuse collection de pipes léguée par la baronne de Rothschild, la Bibliothèque de Grasse conserve un fonds de poésie, mal connu du public, le fonds "Henri Vendel". Ce fonds rejoint par sa nature un peu particulière les autres fonds de l'établissement. "Tripet-Skrypytzine" (journaux de la Guerre 14-18) et "Roubaud" (littérature générale du XIXe siècle)
Présenter en quelques pages ce fonds de poésie serait une gageure. Il est délicat de passer en revue près de 10.000 ouvrages dont chacun est le témoignage d'une sensibilité que l'on ne peut cerner en quelques phrases. Le rôle d'un bibliothécaire n'est pas de se substituer à celui d'un critique qui porterait son regard sur plus de 30 ans de poésie, mais plutôt de tenter une approche d'un fonds qu'il est chargé de conserver et si possible d'animer.
Nous souhaitons donc faire connaître aux nombreux amis d'Henri Vendel la richesse matérielle et intellectuelle de ce fonds de poésie, en présentant quelques ouvrages qui nous ont semblé particulièrement remarquables par leur édition ou leur présentation. Nous essaierons enfin de soumettre après avoir rapidement évoqué les problèmes de conservation, quelques suggestions pour faire vivre le fonds de poésie d'une bibliothèque et la poésie en général.
Un des rôles essentiels de nos bibliothèques est de conserver. Conserver nous dit le Larousse, c'est "préserver de l'altération, de la destruction. Ne pas laisser se perdre". Cette définition s'applique tout particulièrement bien au fonds de poésie Henri Vendel: ne pas laisser périr un fonds riche de volumes et d'éditions, qui si elles ne sont pas toutes remarquables n'en sont pas moins rares. Eviter que ces ouvrages ne subissent les multiples outrages du temps et en particulier le ravage de certains petits insectes dont on connaît bien à la bibliothèque l'oeuvre destructrice. Enfin "ne pas laisser se perdre", que nous entendons plus au sens figuré qu'au sens propre, car déposer dans un magasin une somme de livres n'est-ce pas aussi lui donner toutes les chances de sombrer dans l'oubli?
S'il est difficile d'évaluer la richesse de ce fonds, voici froidement ce qu'il représente en quelques chiffres. Les premières dates d'enregistrement portées sur les 8 registres d'inventaire remontent à 1962. Cette première mention figurant face au numéro 313, nous avons tout lieu de croire cependant que les premiers ouvrages furent reçus à la bibliothèque antérieurement à cette date. Le dernier livre enregistré le 19 juin 1979, porte le numéro 9379. Soit une acquisition annuelle moyenne de 400 brochures de poésie environ.
L'histoire du fonds ne peut être dissociée de celle de la Bibliothèque municipale d'une part, de l'Association des Amis d'Henri Vendel d'autre part et du passage du poète-inspecteur dans la ville de Grasse. Mon propos n'est pas de reprendre ce qui a sans doute été mieux dit dans ces pages par ceux qui ont été à l'origine de l'association, mais de rappeler l'existence du prix de poésie créé par M. Forestier alors Conservateur de la Bibliothèque. Les ouvrages déposés pour concourir au prix de poésie constituent en effet un des apports essentiels de ce fonds. Ce qui explique tout naturellement la présence sur les rayonnages de nombreux recueis dactylographiés .
Forte de cette volonté de témoigner un tel intérêt à la poésie, la Bibliothèque obtint par la suite du service des échanges de la Bibliothèque Nationale, l'envoi d'un exemplaire du Dépôt légal des brochures de poésie récemment parues. Ce sont ces envois qui constituent la majeure partie du fonds.
Une étude plus complète impliquerait une analyse fine de la production des différents éditeurs  représentés. A côté de nombreuses collections on remarquera d'abord la présence des ouvrages de chez Seghers dont le militantisme pour la poésie mérite d'être cité en premier, avec les collections Poètes d'aujourd'hui et Autour du Monde.Chez les "grands" éditeurs on note Gallimard avec la collection NRF, et surtout dans sa présentation de poche. P.J. Oswald tient lui aussi largement sa place, aux côtés des Editions du Sablier, les collections ou éditions Points et Contrepoints, La Tour de Feu, La Librairie des lettres, Ressac, LUF, Editions Mic Berthe à Tours.
De nombreuses éditions ont d'ailleurs été éditées en province: les Editions champenoises, Editions Nicolas à Niort, La Maison du Livre et de la Musique à La Roche sur Yon, Art et Poésie sur la Côte d'Azur à Nice, Arts et Lettres au Cannet (Alpes Maritimes), ou encore Les Presses bretonnes de Saint-Brieuc.
Il est bien difficile de discerner parmi ces nombreux poètes ceux qui demain n'auront pas été oubliés après leur première plaquette, ou ceux dont on possèderait  des éditions remarquable par leur rareté.
Toutefois parmi ces 9000 ouvrages, plusieurs ont retenu plus particulièrement notre attention . Il n'est pas certain que ces éditions soient "remarquables" mais elles nous ont semblé originales.
Ainsi par exemple ce S.O.S. lancé par Colette Aynard, aux Editions de l'Anti-poète, ou encore ce poème de Benjamin Mechoulam sur les archives:
Rien de plus émouvant, de plus significatif, plus révélateur,
Que les classeurs raccornis, les tampons, les vieux composteurs.
Rien qui évoque, qui fassent mieux lire un passé,
Que ces dossiers moisis, bourrés, ligotés (...)
aux éditions Mic Berthe, imprimé en offset de manière artisanale. Les recueils polycopiés ont un charme inégal, mais quand il s'agit de poésie, ou surtout de Patoiseries gâtinaises
Sans la moind'ret'nue
André Bouchier, de la Société des gens de lettres de France, majoral du Collège des Bardes d'oil, récolte nos faveurs.
Plus ou moins réussis ces recueils reproduits d'après les manuscrits. Les seize séries des 192 Pensyllabes d'Henri Druart ne manquent pas de charme, l'Homme Occulté de Michel Gens aux Ed. Amériane sont un peu moins réussies. Quant aux "Encres vives", la forme est annoncée dès le départ dans la collection "Manuscrits".
Emouvants ces quelques exemplaires dactylographiés dont les pages ont bien jauni de Pierre Breillat, ou de Magdeleine de Lostau (5 sonnets extraits de A l'Ombre des jours portant la mention "à paraître"- sont-ils parus?)
Emouvants aussi ces poèmes "pour le Vietnam" de 1967: 
Que peut-on défendre de grand
Au nom du massacre d'un peuple?
imprimé " aux dépens des auteurs".
Agréablement illustré de sérigraphies de Lauquin, une brochure de Emmanuel Looten:  Ephpheta. Ou encore ces vignettes de Marcel Pautot pour illustrer Le Pêcheur de lune d'Andrée Duguet-Hugier, bien connue des Grassois et d'Henri Vendel.
Je n'oublierai pas ces Fables mycologiques et complètement écologiques dont le burlesque étonne. Mais l'amateur ne manquera pas de remarquer une brochure de Francis Jammes de 1923, (admirablement ornée et gravée par Armand Coussens chez Gomès, éditeur à Nîmes, ainsi que le Printemps édité par l'Atelier Mazarine en mars 1969 sur papier fabriqué "à l'ancienne".
Si la tâche du bibliothécaire est de conserver les fonds de livres qui sont sous sa responsabilité, son rôle est aussi de les exploiter, c'est-à-dire de permettre au public le plus vaste possible d'en connaître les ressources, les raretés. 
Nous nous proposons tout d'abord d'éditer prochainement (début 1980) un catalogue qui rassemblera tous les titres des ouvrages conservés. Ces ouvrages, recensés jusqu'à présent par le seul registre inventaire sont non seulement méconnus, mais totalement ignorés.
Un catalogue ne saurait cependant régler les problèmes de publicité autour de ce fonds et en particulier lui donner la possibilité de vivre. La poésie est un art vivant qui se lit, qui se dit. Qu'en serait-il du théâtre s'il n'était jamais joué? Aussi nous attacherons-nous à proposer des initiatives nouvelles en mettant à la disposition du public de nombreuses brochures, afin que comme il est habituel de lire des périodiques dans la bibliothèque, il devienne aussi simple à nos lecteurs de se détendre avec un ouvrage de poésie. Nous ne sommes pas persuadés que nos lecteurs consommeront autant de poésie qu'ils ne consomment de bandes dessinées par exemple, mais il s'agit surtout de ne pas reléguer la poésie sur les rayonnages de nos magasins.
Notre souhait serait également que la poésie et l'animation du fonds de la Bibliothèque municipale deviennent l'affaire de nos lecteurs. Nous désirons que l'Association des amis d'Henri Vendel renaisse plus vivante que jamais, qu'elle ne s'éloigne pas du grand public: que la poésie éclate dans la vie.
Aussi verrons-nous demain dans les rues de Grasse des artistes déclamer des poèmes sur la Place aux Aires ou devant la cathédrale. Et si le numéro 1 du fonds Henri-Vendel est un Cantique des cantiques, ne peut-on y voir un symbole? Grasse, ville de la poésie? Pourquoi pas!
Les troubadours qui traversaient jadis la Provence ont peut-être semé une plante plus tenace que le jasmin: la poésie.
Voilà donc le fonds Henri Vendel à la Bibliothèque municipale de Grasse....