mardi 27 novembre 2012

Henri Vendel: Vie et travaux de M. l'abbé Lallement.

N°215 (n°8.9.17.34.65à67.86à91.118à122.133à144.187à192.194à214)

Toujours au nom de la Société d'Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts du département de la Marne, dont il était membre titulaire résidant, Henri Vendel devait être la "personne désignée" pour toute sorte de discours...... En voici un, de nouveau ...
A notre dernière séance de quinzaine, Monsieur le Président, vous apprenant la triste nouvelle, prononçait un éloge, émouvant parce qu'ému, de M. l'abbé Lallement. Permettez-moi aujourd'hui, non pas de vous rappeler les mérites de notre confrère, car vous ne les avez pas oubliés, mais de rendre à sa mémoire un nouvel hommage.
Lavie de François-Louis Lallement tient en deux mots: science et dévouement.
Né le 29 octobre 1871, à Pont-à-Mousson, il termina ses études au Grand Séminaire de Châlons, dirigé alors par des Lazaristes. Mais peut-on appliquer cette expression: "terminer ses études" à celui qui étudia toute sa vie?
Avant même d'être ordonné prêtre, il enseignait. D'abord professeur de 8e puis de 6eA, au Collège Saint-Etienne, il fut nommé curé de Moiremont le 1er août 1897.
Combien de jeunes étudiants, ainsi exilés, loin des cours et des bibliothèques, dans un village sans ressources intellectuelles, auraient renoncé à apprendre! Lui, c'est dans cette paroisse qu'il étudia le plus, c'est là qu'il découvrit sa seconde vocation.
Il n'avait plus de livres à sa disposition, mais il avait des âmes. Il se pencha vers elles, ils les observa, il les scruta; au sens le plus large du mot, il les confessa.
C'était avant la guerre, quand la terre heureuse gardait sa bonne odeur d'autrefois. Les coutumes, affaiblies par l'âge, mais toujours vivantes, avaient le charme des vieillards par les soleils d'automne.
Pieusement, connaissant leur fragilité, l'abbé Lallement les recueillit. Douze ans durant, de 1897 à 1909, il visita les chaumières, ici écoutant un conte, là glanant quelques proverbes, rappelant les chansons aux lèvres des vieilles, ressuscitant les jeux oubliés, chargé tantôt d'une bassinoire et tantôt d'un pot d'étain, toujours bien accueilli parce qu'il patoisait et surtout parce qu'il était simple et brave homme, d'une admirable bonté qui touchait le coeur plus sûrement qu'un sermon.
Le 21 août 1909, il fut nommé curé de Recy. C'était, avec la proximité de Châlons, la possibilité d'utiliser les matériaux patiemment amassés.
Depuis longtemps déjà votre Société avait découvert les mérites de ce chercheur. Vous l'aviez accueilli parmi vous, en qualité de membre correspondant, le 1er février 1906, et, le 11 novembre de la même année, vous décerniez une médaille d'argent à son étude sur "Les Toignel d'Epense et leur chapelle dans l'église de Sainte-Menehould". "Intéressante, bien conçue et bien ordonnée, témoignant de recherches étendues et avisées", au dire du rapporteur, M. Jacques Laurent, elle eut l'honneur de figurer dans vos Mémoires.
Vous publiâtes de même, en 1908, les "Lettres inédites de Louis XIV et Mazarin au sieur Jean de Seyron" que M. l'abbé Lallement avait découvertes dans un cadre ancien.
Toutefois, plus que ces études d'histoire proprement dite, ce qui devait établir la renommée de M. l'abbé Lallement, ce furent ses travaux sur le folklore argonnais. Déjà en 1903, l'Académie nationale de Reims, dont il est membre correspondant , couronnait un mémoire sur "les coutumes, usages et antiques traditions de Moiremont", que devaient compléter, en 1905, une "Monographie du village de Moiremont" et, en 1909, "les Pages militaires de Moiremont depuis l'époque révolutionnaire jusqu'à nos jours."
Vous-mêmes, en 1909, honoriez d'une médaille d'or, votre plus haute récompense, les "Echos rustiques de l'Argonne", publiés l'année suivante sous les auspices de votre Société. Ce recueil forme un chansonnier où sont notés non-seulement les paroles, mais les airs mêmes sur lesquels se chantaient complaintes, noëls et trimazots.
Il fut suivi, en 1910 et 1912, des Vieux contes argonnais écrits dans un patois savoureux et qui parurent sous la signature du Cousi Laouis de Mouürmont.
Nous les retrouvons d'ailleurs, accrus de quelques autres, dans les "Contes rustiques et folklore de l'Argonne", volume que préface Paul Sébillot, et qui est consacré aux coutumes, au blason populaire et au patois de cette région champenoise.
La guerre interrompit les travaux de M. l'abbé Lallement, sans le distraire de ce qui était devenu sa passion. C'est en 1921, en effet, qu'il publia son ouvrage "Folklore et vieux souvenirs d'Argonne" qui devait lui valoir, avec une nouvelle médaille d'or de votre Société, le prix Furtadeau, décerné par l'Académie Française.
Ces trois livres, "Echos rustiques de l'Argonne", "Contes rustiques et folklore de l'Argonne", "Folklore et vieux souvenirs d'Argonne", constituent l'oeuvre capitale de notre confrère. Qui ne les a pas lus, ne peut se vanter de connaître l'Argonne d'autrefois. Qui les ouvre pénètre dans l'intimité de n os provinces à la suite du meilleur et du plus sûr des guides.
M. l'abbé Lallement devait encore publier deux études consacrées l'une à "Jean-Baptiste Champion, confesseur de la foi, et à la paroisse de Valmy, 1785-1842", l'autre aux séminaires et aux évêques de ce diocèse au lendemain de la Révolution.
La Revue de Champagne et de Brie a également reproduit le texte de deux conférences faites, l'une à la Bibliothèque municipale de Châlons, l'autre à l'Hôtel de ville, lors de l'exposition des Beaux-Arts, en octobre 1926. La première nous présente l'Argonnais et sa maison, la seconde est un guide du petit musée ethnographique que notre ville doit à la générosité de M. l'abbé Lallement.
Le 3 juillet 1911, en effet, notre regretté confrère avait fait don au Musée municipal de sa collection composée alors d'environ 400 objets tels que vêtements, chaussures, faïences, bijoux,  ustensiles de ménage, etc... Nommé conservateur honoraire du Musée, il compléta cette collection en 1926 par le don d'une centaine de pièces nouvelles, regrettant que le manque de place mît une limite à sa générosité.
Tant de mérites, tant d'études, n'avaient pu, malgré la bonhomie de l'auteur, passer complètement inaperçus. Sur la proposition de votre président, M. Guillemot, qui l'encouragea dans ses recherches et auquel il se plut toujours à rendre hommage, il avait été nommé officier d'Académie en 1910; il fut promu officier de l'Instruction publique en 1924.
Lorsque, de nouveau professeur à l'Institution Saint-Etienne le 1er mars 1919, il redevint châlonnais, vous fûtes heureux de le nommer membre titulaire dès qu'une vacance se produisit.
Pendant la guerre, son dévouement au chevet des malades lui valut la médaille des épidémies, mais sans doute est-ce là aussi qu'il contracta le mal qui devait l'emporter.
M. l'abbé Lallement, qui s'était toujours dépensé sans compter, depuis quelques mois sentait ses forces diminuer. Déjà plusieurs fois, suivant l'expression de notre confrère, M. l'abbé Prieur, la mort lui avait donné des "avertissements très sévères"". Il n'en continua pas moins à porter un faix devenu trop lourd pour ses épaules, et sous lequel il devait bientôt succomber.
Frappé le 17 mars, à l'hôpital militaire dont il était aumônier auxiliaire, il y expirait le 2 mai 1927.
Son souvenir, du moins, ne périra pas. Tous ceux qui ont eu le plaisir d'entendre le conférencier, de lire l'auteur, d'écouter le prêtre accueillant à tous, quelle que fût leur croyance, tous ceux qui l'ont connu ne l'oublieront pas. Et quand ils ne seront plus eux-mêmes que poussière, on continuera de feuilleter les livres de notre confrère. Les érudits les consulteront, et les artistes, et tous ceux que charment les contes du passé.
Ces études qu'il a tant aimées, cette science qu'il a tant servie, prolongeront parmi la postérité le goût et la pensée de M. l'abbé Lallement.
Discours toujours aussi disert de notre poète, romancier... d'autant plus qu'il parle d'un confrère, aimant les recherches historiques pour les fixer à jamais dans des livres....